« Parlons Clichés, Parlons jeunes musulmans ! » : des clichés déconstruits ou consolidés ?

Publié le par Nadia Geerts

 

Ces derniers jours, j’ai suivi avec intérêt la polémique suscitée par une courte vidéo produite par « Parlons jeunes ! » un projet d’éducation aux médias et à la citoyenneté financé notamment par l’ULB, la Commission Communautaire Française (COCOF), et soutenu par le Délégué Général aux Droits de l'Enfant (DGDE).

Cette vidéo s’inscrit dans un projet plus large intitulé « Parlons Clichés, Parlons jeunes musulmans ! », et qui donne la parole à de jeunes musulmans sur des questions sensibles, telles que le voile, mais aussi l’homosexualité. Sous cette vidéo apparaît la légende « Tuto hijab ». C’est notamment ce titre, mais aussi le message global de cette vidéo, qui a fait réagir l’Observatoire des fondamentalismes à Bruxelles (1).

 

L’idée générale semble être de donner la parole aux jeunes musulmans afin de déconstruire les clichés à leur égard. Louable intention, certes, mais qui me semble jusqu’ici manquer son but. Certes, tous ces jeunes sont sympathiques, souriants, rien à voir a priori avec des intégristes religieux prêts à partir faire le djihad…

Et pourtant, plusieurs constats demeurent :

Concernant le voile, aucun ne le condamne dans son principe. Le seul à exprimer sa perplexité en même temps que son ouverture d’esprit est un jeune manifestement non-musulman, le seul qui apparaisse d’ailleurs dans la vidéo. Quant aux jeunes musulmans, il s’agit soit de jeunes filles voilées, soit de jeunes filles qui ne se sentent « pas encore prêtes ». Et la rencontre avec une journaliste d’une chaîne communautaire, Arabel, a visiblement pour objectif de démontrer qu’on peut parfaitement être diplômée tout en portant le « foulard ». Bref, l’impression générale qui se dégage est qu’il ne s’agit au fond que d’un bout de tissu, qui n’empêche en rien l’émancipation sociale, tout au plus suscite-t-il des regards un peu pesants de la part de gens peu informés dans le métro…

Pas un mot de la pression communautaire, qui pousse tant de jeunes filles à porter le voile pour avoir la paix. Pas un mot de la pertinence de l’interdit d’afficher ses convictions dans certains lieux ou fonctions – école, fonction publique. Pas un mot sur le fait que pour pouvoir parler de choix, il faut aussi pouvoir parler de possibilité de dire non à ce qu’il signifie : la limitation de la liberté individuelle, la soumission à des codes genrés, la montée en puissance d’un islam politique version frères musulmans.

Pour une esquisse de tout ça, il faut se reporter à la première partie de la vidéo sur le voile, où Michaël Privot, frère musulman prétendument repenti, explique l’origine du voile et déconstruit l’idée qu’il soit une obligation coranique, tout en réaffirmant la liberté pour chacune de le porter ou non… et ce sous les yeux manifestement médusés des jeunes musulmans, dont aucun semblait n’avoir jamais entendu un discours aussi « progressiste ».

En matière de déconstruction de clichés, on fait mieux. Où sont les jeunes filles qui refusent de porter le voile, non parce qu’elles ne seraient pas prêtes, mais parce qu’elles abhorrent ce symbole de l’islamisme triomphant, partout dans le monde musulman ? Où sont celles qui, même floutées, reconnaîtraient qu’elles le portent par contrainte, que ce soit des parents ou du quartier ? Montrer la diversité, lutter contre les préjugés, cela ne devrait-il pas passer par la recherche active d’une telle diversité de regards sur le voile islamique ? Ce qu’on retiendra, à défaut, de cette séquence, c’est que si l’islamologue ne considère pas le voile comme une obligation religieuse, les jeunes musulmans, eux, pensent le contraire. Fin de la déconstruction.

Même chose pour la vidéo sur l’homosexualité : clairement, nos jeunes musulmans n’approuvent pas. Pas un seul pour témoigner qu’il a un copain homosexuel, sans même rêver d’un coming out. Tiens, les musulmans seraient-ils, dans leur majorité, homophobes ? - Une pensée pour Mila, tiens, à ce moment précis…

Mon sentiment général, on l’aura compris, est que l’entreprise rate sa cible. Mais aussi qu’il y a quelque chose de dérangeant à mettre ici le focus sur les jeunes musulmans, comme s’ils étaient tellement victimes de préjugés qu’il fallait à toute force rectifier ça en présentant des visage souriants – et voilés.

À quand une vidéo qui donnerait la parole aux jeunes juifs, afin de déconstruire les préjugés antisémites ? N’y a-t-il pas plus de danger aujourd’hui à se promener à Bruxelles en arborant une kippa qu’un voile ? Alors, pourquoi pas un « tuto kippa » montrant à quel point c’est cool de mettre une kippa ? 

Il ne manque pas de jeunes à qui donner aussi la parole – les athées, les homosexuels, les transgenres, etc. - : pourquoi se focaliser ainsi sur les musulmans ? Ce qu’on aurait compris d’un organisme communautaire musulman paraît ici fort curieux. Faut-il en déduire que pour d’aucuns, la jeunesse, c’est désormais la jeunesse musulmane ? Ou y voir une reconnaissance implicite qu’il y a bien un problème spécifique de conservatisme religieux au sein de la jeunesse musulmane, qu’il s’agirait alors de montrer tout en le banalisant ?

Personnellement, j’aurais attendu d’une initiative soutenue par les pouvoirs publics et par l’ULB un peu plus d’attention aux valeurs revendiquées par ces diverses institutions, au premier rang desquels droits de l’enfant – à se construire en ayant la possibilité de s’émanciper de tout dogme - et libre examen – conduisant à la possibilité de rejeter tout dogme. 

Faute de quoi, me reste la désagréable impression qu’on cherche à me faire passer des vessies pour des lanternes, à savoir des jeunes musulmans relativement conservateurs pour l’ensemble de la jeunesse musulmane, ce dont je devrais en plus me réjouis au nom du culte de la sacro-sainte diversité (diversité ? où ça ??). Eh bien, c’est raté.

 

(1) https://urlz.fr/bJkq 

 

 

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Publié dans Laïcité - religions

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