Charlie can't breathe

Publié le par Nadia Geerts

L’arrêt récent de la Cour constitutionnelle, pour mesuré qu’il soit, semble avoir re-déchaîné les passions : le député PS Jamal Ikazban s’est inquiété que la validation par la Cour constitutionnelle du règlement d’intérieur des écoles de la Ville de Bruxelles puisse compromettre l’accord du gouvernement de la COCOF prévoyant d’autoriser les signes convictionnels dans l’enseignement supérieur et de promotion sociale – mais Rudy Vervoort l’a rassuré illico -, la commune de Molenbeek-Saint-Jean s’est déclarée désireuse d’autoriser dorénavant les signes convictionnels à ses fonctionnaires, et puis surtout, il y a eu ce qu’il faut bien nommer « l’affaire Florence Hainaut ».

 

Au départ, une histoire on ne peut plus banale : une carte blanche sur le port du voile, rendez-vous compte !

À l’arrivée, une tempête de réactions portant non pas tellement sur les idées défendues par Florence Hainaut ou sa contradictrice, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, mais sur les modalités du débat, tel qu’il s’est déroulé dans la presse et sur les réseaux sociaux… et surtout, rien moins qu’un signalement – pour harcèlement - au Conseil de l’Europe, à l’initiative de Ricardo Guttiérez, agissant en tant que secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes. Ricardo Guttiérrez, dont le R.A.P.P.E.L. a eu à subir des années durant les articles honteusement orientés, au point de finir par exiger un droit de réponse dans les colonnes du Soir, tant les faits étaient systématiquement déformés sous sa plume.

À en croire Florence Hainaut, elle aurait subi, suite à la publication de sa carte blanche dans le Soir du 18 juillet, une salve de messages haineux, notamment en provenance de l’Observatoire des Fondamentalismes à Bruxelles, dont Florence Bergeaud-Blackler est, avec Fadila Maaroufi, la co-fondatrice.

Je ne referai pas ici tout l’historique de cette lamentable affaire, qui a été magistralement résumée et analysée par Marcel Sel.

 

Ce qui m’intéresse surtout ici, c’est de revenir sur plusieurs points précis qui me paraissent devoir retenir l’attention, et que l’on peut me semble-t-il résumer par « deux poids, deux mesures ».

En effet, tout se passe comme si un avait d’un côté une pauvre malheureuse journaliste menacée dans son intégrité, et de l’autre de méchants trolls éructant leur haine sur les réseaux sociaux, galvanisés par le pouvoir du nombre.

Or, la réalité me semble tout autre. Je ne ferai pas l’injure au lecteur de lui énumérer les noms de femmes vivant sous protection policière, quand elles n’ont pas été défigurées, vitriolées ou assassinées, parce qu’elles ont osé exprimé non pas leur soutien aux femmes voilées, mais leur opposition à ce que symbolise le voile. J’ai moi-même subi à plusieurs reprises de fort explicites menaces de mort et connu les joies de la protection policière. Mais certes, je ne suis pas journaliste, et puis d’ailleurs, je n’ai aux yeux de certains probablement que ce que je mérite, à défendre des idées aussi sulfureuses qu’une laïcité sans adjectif et un féminisme radicalement universaliste, à mille lieues des délires intersectionnels, victimaires et profondément racistes des nouveaux progressistes qui nous préparent un monde merveilleux composé de racisés, d’ethnicisés, d’assignés et de diversifiés hétéronormés – je sais, ça ne veut rien dire, c’est un peu fait exprès.

 

Bref, revenons à nos moutons. Je ne suis pas journaliste, disais-je. Mais je suis enseignante, et comme telle, soumise au décret neutralité. Mais uniquement, précise le décret, lors de mes activités d’enseignement. Un détail qui avait visiblement échappé au think thank Vigilance musulmane, qui porta plainte contre moi en 2010 pour violation de ce décret.

Exactement de la même manière que je ne suis pas enseignante à tout moment de mon existence, dans chacune de mes actions ou prises de positions, un journaliste n’agit pas toujours en tant que journaliste. Or, c’est bien le statut de journaliste de Florence Hainaut qui suscite la réaction immédiate de Ricardo Guttiérez. Sauf qu’en publiant une carte blanche, Florence Hainaut n’agit pas comme journaliste, mais comme personne publique exprimant son opinion personnelle sur un sujet d’actualité. Ce n’est donc en rien son activité de journaliste qui est menacée, si tant est que quelque chose soit menacé, ce qui reste à prouver puisque nul, jusqu’ici, n’a produit la moindre preuve des faits au sujet desquels plainte est déposée pour harcèlement…

Bref, et je suis navrée d’être si terre à terre, mais où sont les faits ? 

Les faits, c’est bien ce que l’Observatoire des Fondamentalismes à Bruxelles a tenté d’examiner. D’abord en tentant de mettre en évidence la signification historico-théologico-politico-sexiste du voile, pour contrer le sempiternel argument d’un « libre choix autonome ». La littérature islamiste sur le voile existe, elle abonde même, c’est un fait que l’on ne peut ignorer. Une approche véritablement scientifique se devrait de l’examiner avec le plus grand sérieux avant de faire du voile un simple fichu dont on devrait se « balek », au lieu de foncer tête baissée dans des mesures « discriminatoires », si l’on en croit Florence Hainaut.

Ensuite, en relevant que, de l’aveu même de Florence Hainaut, elle a fait relire son texte par Haf Ha, pseudonyme de Hafida Hammouti – cofondatrice de la coordination des enseignants de religion islamique, mais surtout proche, avec son mari Mohsin Mouedden (1), de la Ligue  des Musulmans de Belgique, qui fait partie de la Federation of islamic Organisations in Europe, représentante des Frères Musulmans en Europe.

Tout ça, ce sont des faits, aisément vérifiables qui plus est.

Mais apparemment, les révéler, c’est commettre une faute. Par rapport à quelle règle, mystère…

Dans le même temps, par contre, les accusations d’ « islamophobie » et de « proximité avec l’extrême droite » ne se comptent plus, en face. Ainsi, Olivier Bierin, député Ecolo, tweetait-il le 27 juillet que l’Observatoire des fondamentalismes était « soutenu par des personnalités comme Françoise Laborde et Zineb el Razahoui (2), ouvertement islamophobes et proches de l’extrême droite. ». J’attends impatiemment la plainte de Ricardo Guttierez contre Olivier Bierin, au motif que ces propos reviennent à planter une cible dans le dos de Zineb El Rhazoui, qui s’y connaît en matière de cibles depuis qu’elle vit sous protection permanente suite à l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo en janvier 2015…

D’autant que si Zineb El Rhazoui est indéniablement menacée en tant que journaliste, les choses sont nettement moins claires s’agissant de Florence Hainaut, dont le texte n’était pas un article journalistique, mais une carte blanche, comme j’aurais pu moi-même en publier une – à condition évidemment que Le Soir l’accepte, et ça, c’est pas gagné, mais c’est une autre histoire…

 

Un mot encore à propos de Charlie Hebdo. On se souviendra peut-être qu’en février dernier, la venue à l’ULB de deux membres de sa rédaction pour une conférence sur la liberté d’expression n’avait pas eu l’heur de plaire à certaines associations étudiantes, dont le cercle du Libre examen de l’ULB. Il se trouve que Florence Hainaut avait particulièrement apprécié l’intelligence de la réaction dudit cercle, et l’avait fait savoir sur son profil Facebook. Comme personnellement, cette réaction, résumée par le slogan « Pas de réacs sur nos campus » m’avait plutôt atterrée, je m’étais crue autoriser à m’étonner qu’un Tariq Ramadan n’ait jamais fait l’objet de pareilles protestations indignées, Ramadan me semblant au progressisme ce que Dieudonné est au philosémitisme. Las, mal m’en a pris, puisque j’ai été gentiment priée d’aller voir ailleurs : « Nadia, toi et moi on a un peu un gentleman’s agreement : on n’est d’accord sur rien, on a clairement de quoi se battre nues dans la boue, mais on se laisse vivre l’une et l’autre. Je propose qu’on continue comme ça, ok ? ». 

 

Tout ça, voyez-vous, ça commence à me courir sur le haricot.

Parce que bon, j’ai quand même quelques heures de vol, en matière de militance et de débat public. Mais je n’ose pas imaginer le dynamitage en règle que j’aurais subi si j’avais publiquement écrit que j’ai fait relire un projet de carte blanche par, je ne sais pas moi… Eric Zemmour ou Marine le Pen, ou même simplement Claude Moniquet, qui agit comme repoussoir très efficace parmi nombre de gens « de gauche ». Chez nombre de ceux-là, les infréquentables sont systématiquement à droite, et la droite est systématiquement « blanche ». Comme si l’islamisme était de gauche ! Comme si l’islam politique était dans le camp du progrès ! Comme si, de manière générale, on pouvait espérer un quelconque progrès social de l’œuvre de conservateurs religieux dont l’essentiel du combat consiste à obtenir que les femmes puissent afficher partout leur appartenance à une mouvance religieuse qui les oblige à soustraire leur corps aux hommes !

Alors, à mon tour de suggérer un gentleman’s agreement : vous qui depuis des années, avez pris le parti du voile contre Charlie, cessez de nous assommer avec vos leçons de bien-pensance. Vous nous préparez une société de bigots intolérants et haineux, prompts à porter en justice tout outrage à leur sacro-sainte sensibilité, mais incapables du moindre débat d’idées.

 

(1) très actif il y a une dizaine d’années en tant qu’ « acteur associatif » et à la rhétorique agressive de qui j’ai consacré quelques articles, notamment http://nadiageerts.over-blog.com/article-6108233.html

(2) L'orthographe n'est pas de moi

 

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Publié dans Laïcité - religions

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