Si tu parles à ma sœur, j’te casse la gueule…

Publié le par Nadia Geerts

Bruxelles. Scène de cour de récréation. Un gamin parle à une de ses camarades de classe. Arrive le frère cadet de celle-ci, qui apostrophe le gamin : « si tu parles encore à ma sœur, j’te casse la gueule ». A quoi le frangin ajoute la menace d’appeler à la rescousse tous les membres mâles de sa famille : père, frères, cousins…

 

Elle n’est certainement pas seule dans le cas, cette jeune fille surveillée par son frère (mandaté par les parents ?), y compris dans l’enceinte de l’école. Interdite de contact avec les garçons. Soumise à une obligation draconienne de non mixité, à l’exception du havre de la classe.

Il n’est certainement pas seul dans le cas, ce gamin menacé physiquement parce qu’il a osé violer la règle tacite de non mixité, parce qu’il a eu l’outrecuidance de parler à une fille, une fille qui, de plus – j’imagine que cela aggrave son cas – n’est pas de sa « communauté ».

Le gamin est mon fils. Aussi ai-je écrit au chef de l’établissement pour lui faire part de l’événement et de mon indignation consécutive. Voici un extrait de cette lettre :

« J’estime qu’il est inadmissible que des garçons surveillent leurs sœurs au sein de l’école, nonobstant le droit de tout(e) élève aux relations sociales avec des condisciples de son choix. J’estime tout aussi inadmissible que mon fils fasse l’objet de menaces pour la seule raison qu’il a osé adresser la parole à un élève de sexe féminin. Il y va de l’élémentaire liberté de tout élève, garçon ou fille, liberté que l’école se doit de préserver de l’immixtion d’exigences culturelles, traditionnelles ou religieuses rétrogrades, machistes et liberticides.

J’ose espérer que vous aurez à cœur de prendre les mesures nécessaires pour que dans votre établissement, garçons et filles jouissent d’une identique liberté, dans le respect du règlement d’ordre intérieur du lycée. En tant qu’enseignante, mais aussi que femme, que laïque et que mère, je suis très attachée à ce que l’école officielle défende les valeurs fondamentales de tout être humain, lutte contre les régressions qui menacent particulièrement les filles et fasse en sorte qu’en son sein au moins, garçons et filles soient libres et égaux en liberté et en droits. »

Car s’est bien le « temple » scolaire qu’il s’agit de préserver de l’immixtion de parents qui, semble-t-il, acceptent de moins en moins aisément qu’il y ait des lieux où s’arrête l’autorité qu’ils exercent sur leurs enfants.

Et au-delà de cela, c’est de défense de la mixité qu’il s’agit. Une mixité de plus en plus battue en brèche par des gens pour qui elle symbolise la décadence, la débauche, les mœurs dissolues, que sais-je encore ?

Pourtant, le monde est composé d’hommes et de femmes, de garçons et de filles. Leur permettre de se côtoyer dès le plus jeune âge, ce n’est pas les inciter à toutes les dépravations, mais leur permettre de se connaître et de se comprendre, dès lors qu’ils auront à vivre ensemble, le monde, n’en déplaise à certains, n’étant pas unisexe.

Je précise que la hantise de la mixité n’est manifestement pas l’apanage d’une « communauté ». Le même jour, alors qu’il accompagnait une copine jusqu’à la maison d’une autre de leurs condisciples, mon fils s’est vu recommander de ne pas se montrer devant la maison, car jamais les parents n’accepteraient qu’un garçon vienne chercher leur fille. Ces gens-là sont chrétiens.

 

Post-scriptum : d’aucuns se souviennent de mon précédent article « Chakun panse se ki veux ». Le hasard a voulu que je rencontre récemment l’enseignante en question, à qui j’ai fait part de mes interrogations et inquiétudes. J’ai pu être pleinement rassurée : non seulement le cours en question était-il le premier d’une série de leçons consacrées aux origines de l’homme, mais encore cette enseignante s’attache-t-elle à distinguer les croyances des faits et à insister auprès de ses élèves pour que seuls les faits aient droit de cité à l’école, les croyances appartenant à la vie privée de chacun.

 

Publié dans Laïcité - religions

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