Liberté religieuse et citoyenneté en prison

Publié le par Nadia Geerts

La religion en prison est un thème peu abordé, et pourtant… Certaines événement récents, comme les émeutes à la prison d’Andenne ou la résurgence de l’intégrisme et du prosélytisme religieux, mériteraient qu’on réfléchisse en profondeur à l’articulation nécessaire de la liberté religieuse et d’autres impératifs, tels que le vivre ensemble en milieu carcéral.

 

Dès lors que la liberté religieuse est un droit humain fondamental, il va de soi qu’on ne peut dénier aux détenus le droit de pratiquer leur religion. Qui plus est, la prison étant par définition un lieu de réclusion, il est nécessaire que l’administration pénitentiaire mette en place un certain nombre de mesures visant à assurer aux détenus l’exercice de leur culte. Impossible, en d’autres termes, sauf à bafouer les droits fondamentaux des détenus, de considérer que la prison est un lieu d’où la religion doit être absente.

Faut-il pour autant accepter la généralisation des menus halal – seuls proposés aux détenus à la prison de Forest – ou considérer comme une fatalité la radicalisation de certains détenus en prison, qui les pousse par exemple à refuser les fouilles sommaires effectuées par des femmes ou à imposer l’observance de leurs prescrits religieux à leurs codétenus ? Lorsqu’une simple lettre du directeur de la prison d’Andenne demandant aux détenus de s’abstenir de faire leurs prières dans les couloirs de la section, les invitant à utiliser pour cela leur cellule ou la salle de prière, suffit à déclencher une émeute, n’est-il pas temps de prendre le problème à bras le corps ?

 

La demande de menus adaptés dépasse de loin la problématique des prisons. J’ai déjà eu l’occasion, dans un autre article, de proposer que l’on s’inspire d’un dispositif mis en place avec succès par la Ville de Lyon dans les écoles, et qui consiste à proposer, à côté du menu « traditionnel », un menu sans viande. Cette solution a l’avantage de préserver l’impartialité de l’Etat en ne favorisant ni ne discriminant aucune conviction. En effet, la liberté de conscience interdit à mon sens que quiconque soit contraint à consommer de la nourriture sacrifiée religieusement. Qui plus est, les détenus chrétiens ou juifs pourraient à bon droit se sentir discriminés s’ils étaient contraints de consommer de la nourriture halal, alors que nul menu casher ou respectueux du carême, par exemple, ne leur serait proposé. Et l’on voit bien que dans une collectivité, il est impossible de multiplier les menus. Enfin, la généralisation des menus halal ne peut qu’augmenter la défiance de la population envers l’islam, en donnant l’impression au pire d’une adéquation absolue entre « détenu » et « musulman », au mieux de l’imposition à tous de ce qui n’est que de certains.

 

Mais le problème est à l’évidence plus profond, et sans doute n’est-il que le reflet d’un malaise présent dans la société tout entière, où le religieux revendique une place parfois excessive, qui lèse le droit d’autres individus au respect de leur liberté de conscience et qui, de conviction intime, se mue en revendication politique.

A l’heure où l’on introduit dans les écoles une formation à la citoyenneté, dans le but de favoriser le « vivre ensemble » d’individus que rien ne rassemble nécessairement, si ce n’est l’appartenance à un même espace social, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement à la prison, ce lieu particulier où, plus peut-être que partout ailleurs, doivent vivre ensemble des gens que tout sépare, qui plus est dans un espace confiné ?

Les maux de la prison ne sont que l’exposant des maux de notre société, et si l’on ne sait comment vivre ensemble aujourd’hui, comment pourrait-on le savoir en prison ?

Le problème doit être pris à sa source, dans le rappel des fondements d’un Etat de droit, et parmi eux de celui-ci : l’égalité de droits, qui doit me pousser à accorder aux autres tout droit que je revendique pour moi-même. Dans cette perspective, comme le théorise Claudine Leleux, les devoirs ne sont plus une sorte de prix à payer, dans une perspective moralisante, pour les droits dont on jouit, mais la condition de possibilité même de ces droits. Les élèves de l’école primaire apprennent désormais à expérimenter ce lien indissoluble entre les droits et les devoirs dans une société démocratique moderne, mais quid des détenus, au parcours scolaire bien souvent chaotique, et en tout état de cause trop âgés pour avoir pu bénéficier de cette formation ?

Vue sous cet angle, la problématique de la liberté religieuse devrait pouvoir être abordée de manière pacifiée, ou en tout cas rationalisée. Sans bien sûr qu’il s’agisse d’un remède miracle, il y a là de toute évidence une piste à exploiter par nos politiques soucieux du vivre ensemble, tant en milieu carcéral que dans la société tout entière.

 

Il serait grand temps, pour terminer, que les pouvoirs publics se penchent sérieusement sur la formation des représentants du culte, mais aussi sur leur contrôle. Si radicalisation et prosélytisme en prison il y a, qui sont les acteurs de ce phénomène ? Il serait plus que préoccupant que ce soient des ministres du culte, payés par l’Etat, qui y contribuent, voire l’orchestrent. Si le lieu particulier qu’est la prison exige sans doute qu’on y aménage la présence de représentants du culte, leur mission devrait être essentiellement spirituelle, et aucun cas politique, ni encore moins source de radicalisation. Sauf à accepter de voir détricoter d’un côté ce qu’on tente patiemment de tricoter de l’autre…

 

 

http://nadiageerts.over-blog.com/article-halal-stop-a-la-surenchere-62103039.html

Claudine Leleux, Education à la citoyenneté, Les droits et les devoirs de 5 à 14 ans, éditions De Boeck (3 tomes)

Publié dans Laïcité - religions

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