Quand Ecolo lave plus vert que vert...

Publié le par Nadia Geerts

 

(suite de l’épisode précédent)

 

Je vous le disais dans mon article précédent : l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 4 juin dernier n’en finit pas de faire des vagues. À croire que certains activistes de la « neutralité inclusive » - traduisez : du droit de porter le voile partout – aient soudain pris peur à l’idée que cet arrêt puisse donner des ailes aux vilains méchants laïques obsédés par la discrimination des femmes voilées. Et aient donc décidé de prendre les devants.

Le Conseil communal qui s’est réuni le 31 août dernier a donc approuvé un nouveau règlement de travail pour le personnel de l’administration de Molenbeek-Saint-Jean. Cela s’est passé sous le regard attentif de membres du Collectif des 100 diplômées, qui « lutte contre les discriminations dont sont victimes les femmes voilées ». Un collectif qui, on en conviendra aisément, manquait jusqu’ici dans le paysage …

 

La motion en question visait à introduire dans le règlement, jusque là muet sur ce point, une « clause de non-discrimination » définissant le principe de neutralité comme concernant « le service rendu par les agents communaux aux citoyen.e.s molenbékois.e.s », sans qu’une neutralité d’apparence puisse donc être exigée. Elle a été votée avec une belle unanimité par la gauche tout entière – PS-SPA, PTB, Ecolo et Cdh – et repoussée par tous les élus MR et l’unique élu Li.Dem. (anciennement Liste Destexhe), à l’exception notable de deux abstentions : celle de Gloria Garcia Fernandez (MR) et celle de Karim Majoros (Ecolo). Les élus Défi et NVA étaient quant à eux absents lors du vote.

Ce Conseil communal s’est cependant soldé par ce qui ressemble fort à une crise interne au sein d’Ecolo, puisque Karim Majoros a annoncé démissionner de son mandat de conseiller communal. « Personne ne m’a demandé de le faire. C’est un choix personnel mûri » précise-t-il sur son mur Facebook. 

De là à en conclure qu’aucune pression n’a été exercée sur le chef de groupe Ecolo, il y a cependant un pas… que tous ne franchissent pas. Dans un article publié dans L’écho, Pauline Deglume écrit en effet que « plusieurs militants écologistes molenbeekois font état de pressions exercées sur l'ancien chef de groupe par la coprésidente des Verts, Rajae Maouane, également conseillère communale à Molenbeek. ». 

Selon ces témoignages, Rajae Maouane aurait demandé à Karim Majoros, qui, en tant que chef de groupe Ecolo au conseil communal, aurait dû être le premier à prendre la parole, « d'aller faire un tour ou de rentrer chez lui lorsque le point sur les signes convictionnels sera abordé », et ce alors même que le principe d’interventions diverses avait été accepté. 

Lors du conseil communal, Rajae Maouane a annoncé qu’elle prendrait seule la parole au nom du parti, « afin d’éviter la cacophonie ». Karim Majoros, refusant de renoncer à s’exprimer, l’a donc fait à titre personnel, avant de démissionner.

Karim Majoros n’est pourtant pas ce que certains appelleraient volontiers un « laïcard ». Certes, il se déclare athée et préside la Fédération Laïque des Centres de Planning Familial. Mais le texte de son intervention est d’une extrême mesure, et met l’accent sur la nécessité de concilier liberté convictionnelle et neutralité, avant de s’interroger :

« Quid de l’impartialité des agents au guichet, en classe, dans les services de première ligne ? Qu’est-ce qu’un signe distinctif, d’ailleurs ? Comment garantir une séparation des cultes et de l’Etat ? Quid de l’égalité de traitement des citoyens usagers des services publics communaux ? »

Insistant à plusieurs reprises sur la « complexité » du débat, Karim Majoros rappelle en outre que

« Des habitant.e.s ont une religion. D’autres non. Certaines (j’en fais partie) sont convaincus qu’aucun dieu n’existe. A Molenbeek, il y a des musulmans, mais pas que (évitons de renforcer les clichés sur notre commune). Il y a aussi des catholiques, des protestantes, de pentecôtistes, des orthodoxes, des juifs, des bouddhistes ou des laïcs. Parmi les femmes musulmanes, pour ne prendre que cet exemple mis en Lumières, certaines portent un voile, d’autres pas. Certaines (y compris parmi celles qui le portent) sont contre une interdiction dans la fonction publique. D’autres pensent que la religion devrait rester au vestiaire. »

Quelle était finalement la position défendue par Karim Majoros ? En réalité, son texte n’en dit rien, mettant plutôt l’accent sur le processus de décision, dont il déplore le caractère précipité, alors que rien ne justifiait cette urgence dès lors que le règlement communal n’interdisait pas les signes convictionnels :

« Le bon sens aurait voulu que les échevins PS de la participation et du personnel et l’échevine MR de la cohésion proposent ensemble en amont de ce conseil un processus de dialogue interculturel et mettent autour de la table des habitants très diversifiés sur la question du service public et de la vie décloisonnée. On aurait consulté les syndicats (comme pour toute modification du règlement de travail). »

L’histoire ne s’arrête pas là : douze membres de la locale, dont une conseillère CPAS, ont en effet annoncé, suite à ce qu’ils qualifient de « grave entorse au processus de démocratie interne d’Ecolo », leur décision de démissionner également du parti.

Car visiblement, dans le parti de la démocratie participative, celui qui allait « faire de la politique autrement », certains, y compris au sein de la coprésidence, n’aiment pas les têtes qui dépassent, ne serait-ce qu’un peu. Leur amour de la diversité, tout comme celui du débat, a des limites, et clairement, l’islam, fut-il paré des oripeaux du conservatisme religieux le plus évident, y est davantage bienvenu que les principes de laïcité les plus élémentaires, qui ne peuvent se maintenir sans un cadre qui impose au religieux un minimum de réserve, dès lors qu’il est question d’incarner, peu ou prou, la puissance publique.

Mais la bonne nouvelle dans tout ça, c’est que, n’en doutons pas un instant, les juifs en kippa, les pastafariens orthopraxes et les athées militants seront désormais les bienvenus dans leurs tenues d’apparat derrière les guichets de l’administration de la riante commune de Molenbeek-saint-Jean. Et ça, ce n’est pas rien, quand on y pense…

Alors, pourquoi se lamenter ?

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Merci à Molenbeek de m'accepter telle que je suis !

 

 

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