Te Deum : Entre cohérence des principes et priorité des actions

Publié le par Nadia Geerts

Chaque année, la fête nationale est l’occasion d’un Te Deum, auquel assistent traditionnellement le roi, la famille royale et quantité de représentants de l’État.

Et à l’heure où le débat sur la neutralité de l’État est plus que jamais à l’avant-scène, il est légitime de s’interroger : la présence de représentants de l’État à un Te Deum est-il compatible avec cette exigence ?

 

La réponse est, de toute évidence, non. De la même manière que j’ai toujours défendu l’idée que la monarchie était une entorse au principe démocratique d’égalité de tous les citoyens, je reste convaincue qu’un représentant de l’État n’a pas à participer à la célébration d’un événement officiel dans un édifice religieux, à l’occasion d’une cérémonie qui, pour oecuménique qu’elle se présente, est néanmoins dirigée par un représentant éminent du clergé catholique.

 

Cependant, la manière dont le débat est posé me semble à certains égards malhonnête. En effet, pour nombre de ceux qui, aujourd’hui, interpellent les défenseurs de la neutralité de l’État en leur brandissant sous le nez le Te Deum comme une démonstration vivante de leur incohérence, l’accusation est à peine dissimulée : sous prétexte de défendre la neutralité, certains ne viseraient en réalité que la mise au pas de l’islam, ce qui serait la preuve de leur « islamophobie ».

 

Or, par-delà l’indispensable souci de cohérence déjà évoqué, il me paraît légitime de s’inquiéter davantage des avancées de l’islam politique en Belgique que de revendiquer la fin de la participation des corps constitués au Te Deum du 21 juillet.

Car si c’est évidemment un idéal de progrès qui devrait guider tout démocrate, l’offensive islamiste constitue non pas une simple stagnation sous couvert de tradition – comme le sont la persistance du Te Deum et de la monarchie -, mais une véritable régression. Or, l’urgence, aujourd’hui, me semble être de ne pas reculer, avant tout, qu’il s’agisse d’égalité entre hommes et femmes ou de liberté de conscience et d’expression, par exemple. Et depuis les Versets sataniques de Salman Rushdie, depuis l’affaire des caricatures et les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, depuis l’affaire Mila, depuis le meurtre de Samuel Paty, pour ne citer que ces quelques repères, c’est bien à des effroyables reculs que nous assistons.

Dès lors, la priorité me semble être de garantir à tous la libre jouissance de certains droits individuels auxquels l’islam politique a résolu de s’attaquer en se drapant dans les oripeaux de la liberté de religion. Et de la même manière est-il essentiel et urgent d’agir chaque fois qu’une religion, quelle qu’elle soit, méprise, met en cause ou menace l’exercice de ces droits fondamentaux. Car l’obscurantisme, le fondamentalisme et le fanatisme religieux ne sont de toute évidence pas l’apanage de l’islam.

 

À côté de cette urgence que constitue la préservation des acquis de nos démocraties modernes, le Te Deum pose un indéniable problème de cohérence, qu’il serait absurde de nier. On ne peut à la fois revendiquer la neutralité de l’État et défendre le caractère immuable d’une « tradition » à la connotation catholique flagrante. Il faut pouvoir admettre, dès lors, que promouvoir la neutralité ne pourra faire l’économie d’une mise à plat de tout ce qui, dans notre organisation sociale, constitue une trace de la prééminence historique du catholicisme en Belgique : clé de répartition totalement inégalitaire du budget alloué aux cultes, calendrier des jours fériés ou Te Deum, notamment.

S’agit-il alors de supprimer « nos traditions » ? Bien plus s’agit-il à mon sens d’admettre la nécessité de les faire évoluer pour les mettre en conformité avec les principes démocratiques modernes auxquels nous nous disons attachés. Car si la Belgique fut catholique, il s’agit là de son histoire, et non de sa réalité actuelle. Le défi de la neutralité consistera donc, pour nous comme pour tant d’autres États confrontés à une évolution similaire, à faire la part d’une l’histoire qu’il ne s’agit pas de gommer et d’un progrès à faire advenir.

 

La cohérence exige que nous travaillions sur les deux fronts que sont la préservation des acquis et la consolidation des principes. Et ce double travail doit se faire sans tabou. Mais il est aussi absurde de refuser le débat sur le danger de l’islam politique sous prétexte que la fête nationale belge est l’occasion d’un Te Deum que de refuser tout débat sur la pertinence de ce dernier sous prétexte que nos traditions seraient éternelles. En démocratie, rien n’est éternel, et c’est ce qui en fait à la fois la beauté et la fragilité.

 

 

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