Et que vive la diversité !

Publié le par Nadia Geerts

En juin 2021, la Cour constitutionnelle rendait une conclusion importante dans une affaire opposant des étudiantes à la Haute École Francisco Ferrer (HEFF) : Suite à une plainte émanant de ces étudiantes, désireuses de pouvoir porter le voile dans cette école formant de futurs enseignants, la chambre des référés du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles s’était tournée en mai 2018 vers la Cour constitutionnelle afin de lui poser une question préjudicielle relative à l’interprétation à donner à l’article 3 du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française.

Et la Cour constitutionnelle avait conclu que l’interdiction des signes convictionnels n’était pas incompatible avec la conception constitutionnelle de la neutralité, ni contraire à la liberté de religion ou à la liberté d’enseignement : chaque instance compétente était à même de juger s’il fallait ou non interdire les signes convictionnels,dans le but de répondre au besoin social impérieux de mettre en œuvre la neutralité sous-tendue par le projet pédagogique

Restait donc au Tribunal de première instance de Bruxelles à se prononcer, à la lumière de la réponse de la Cour constitutionnelle à sa question préjudicielle.

Et contre toute attente, ce dernier vient de donner raison aux deux étudiantes plaignantes, en reconnaissant le caractère discriminatoire de l’article du règlement d’ordre intérieur qui interdit le port de tout signe convictionnel.

La logique qui est à l’œuvre derrière ce jugement est très probablement la suivante : si le règlement interdit les signes convictionnels dans leur ensemble et a donc une apparence de neutralité, il n’en reste pas moins que dans les faits, seules les femmes de confession musulmane sont réellement touchées – si pas visées – par cette mesure.

Mais peut-être serait-il temps de tirer toutes les leçons de ce constat :

D’abord, en reconnaissant qu’en effet, seules des femmes de confession musulmane revendiquent avec autant d’insistance le droit d’afficher leur religion partout, y compris là où des motifs légitimes peuvent justifier que l’on attende d’elles une neutralité d’apparence.

Ensuite, en comprenant que l’autorisation des signes convictionnels implique en réalité, sur le terrain, non pas une société de la « diversité », où chacun afficherait librement ses convictions religieuses, mais une société de la séparation entre les musulmanes pieuses et le reste du monde. Car c’est bien cela, l’effet visuel de l’autorisation, et non une mythique société bigarrée, chatoyante et multiculturelle à souhait.

Enfin, en poussant à son terme le plus absurde les conséquences de ce jugement, au cas où celui-ci ne serait pas cassé en appel : puisque le droit d’afficher ses convictions semble, aux yeux de certains juges en tout cas, surpasser toute autre considération, sortons nos crucifix, kippas, t-shirts athées et autres attributs de nos croyances réelles ou supposées, et testons enfin « grandeur nature » les vertus du « vivre ensemble » entre étudiants brandissant tous – j’ai bien dit « tous » - leur chapelle convictionnelle.

 

Si cet article ou ce blog vous a plu, à vot' bon coeur !
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :