Gardez vos Corans loin de nos chevelures !
Chaque premier mardi du mois, je publierai dorénavant une chronique dans le nouveau rendez-vous hebdomadaire de La Libre, "J'assume !". Je partage ce plaisir avec trois autres chroniqueurs (Ismaël Saidi, Aymeric de Lamotte et Margherita Romengo) que vous retrouverez tour à tour les autres mardis sur le site de La Libre. Le texte ci-dessous est ma première chronique dans cette nouvelle rubrique.
Le 28 septembre dernier, c’était la journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit dont on sait à quel point il reste un acquis fragile dans certains pays, et une vue de l’esprit dans bien d’autres. Parmi les slogans les plus connus en faveur de ce droit, il y a notamment « Mon corps m’appartient », ou « Mon corps, mon choix », ou, plus provoquant, « Gardez vos rosaires loin de nos ovaires ».
Car le droit de disposer de son corps semble une évidence aujourd’hui, à tout le moins en Belgique et parmi les esprits un tant soit peu progressistes. Et on sait combien l’emprise du religieux a pu peser par le passé, et pèse encore parfois, sur ce droit fondamental.
Pendant ce temps, en Iran, suite à la mort de Mahda Amini, les femmes se révoltent par milliers. Elles descendent dans la rue, elles coupent leurs cheveux, elles brûlent leurs voiles, elles dansent, elles chantent. Mais parce qu’elles prétendent disposer librement de leur corps, elles se font arrêter par la police des mœurs, elles risquent leur vie, et certaines meurent en effet d’avoir voulu vivre libres, sans voile.
Mais en Europe, certains s’obstinent à voir dans le port du voile une liberté, voire même accusent les défenseurs de l’impartialité de l’État et ceux qui s’inquiètent de la symbolique sexiste du voile de ne pas valoir mieux, au fond, que les mollah iraniens. « Ne me libère pas, je m’en charge ! » rétorquent certaines néo-féministes à ces laïques et à ces féministes qui ont l’outrecuidance de nier que le voile soit un innocent bout de tissu.
Il faut pourtant beaucoup d’ignorance ou d’aveuglement pour ignorer que le voile est aujourd’hui, partout dans le monde, l’instrument privilégié de propagation de l’islam politique. Un islam incarné notamment par les Frères musulmans et un prédicateur et théologien qatari d’origine égyptienne qui a exercé une influence considérable sur cette confrérie : Youssef Al-Qaradawi, décédé le 26 septembre dernier et auteur notamment du livre « Le licite et l’illicite en islam », où il énonce très clairement les règles de pudeur spécifiques s’appliquant aux femmes : « les parties intimes sont la totalité de son corps à part le visage et les mains », écrit-il, avant de préciser que ces parties ne doivent être cachées que face à tout homme qui, n’étant pas de la famille, pourrait être sexuellement attiré par une femme insuffisamment couverte.
Et la littérature islamique abonde, qui fait ainsi du voile un « sixième pilier de l’islam », alors même que nombre d’intellectuels musulmans lui contestent tout caractère obligatoire, malheureusement sans recueillir le même succès de foule qu’un Tariq Ramadan ou autres prédicateurs issus de la mouvance fréro-salafiste.
C’est une évidence : si le voile nous est présenté, à nous non musulmans, comme une « liberté », un droit des femmes de se vêtir comme elles l’entendent, ce n’est pas ainsi qu’il est « vendu » aux musulmanes. À elles, il est vendu exactement de la même manière qu’aux Iraniennes ou aux Afghanes : comme un signe de vertu, de pudeur, d’islamité. Et surtout, très souvent, comme un moyen d’avoir la paix, un passeport pour une liberté conditionnelle dans l’espace public.
Nous sommes, au cœur de nos démocraties, face à la montée d’un islam qui n’utilise le discours des droits de l’homme, de l’émancipation et de l’égalité que pour pervertir ces notions à son seul profit. C’est Orwell et son 1984, « La liberté, c’est l’esclavage » et autres fadaises qui seraient risibles si elles n’étaient pas si effrayantes.
On est très loin de la liberté véritable, celle qui consiste à avoir le choix, non pas de se soumettre à un prescrit religieux, mais de vivre sa vie comme on l’entend, en choisissant chaque matin les vêtements que l’on va porter en fonction de la saison, de la météo, des activités prévues, de ses envies ; en choisissant librement son partenaire amoureux, et en ayant la possibilité de mettre fin à une grossesse non désirée.
Quand donc les musulmanes d’ici se lèveront-elles massivement, en soutien à leurs consœurs iraniennes, pour brandir force calicots reprenant le slogan anticlérical d’antan dûment adapté en un « Gardez vos Corans loin de nos chevelures » ?
Pour ceux que le sujet intéresse : https://www.livre-moi.be/catalogue/339-et-toujours-ce-fichu-voile.html