Que se passe-t-il à l’ULB ?

Publié le par Nadia Geerts

Depuis le 7 mai dernier, des étudiants – et aussi des gens venus de l’extérieur, mais personne ne songe visiblement à leur demander leur carte d’étudiant – occupent le bâtiment B, sur le campus de l’ULB. Ce bâtiment est ainsi devenu un squat géant, l’étage étant jonché de matelas, muni, détail piquant, de toilettes non genrées et d’une chambre en non-mixité choisie. On y trouve également un coin bibliothèque et une pièce « multi-confessionnelle » dans laquelle on aperçoit quelques tapis. L’ascenseur lui-même est utilisé comme annexe, grâce à une chaise l’empêchant de fermer.

Depuis cette date, plusieurs événements inquiétants ont eu lieu sur le campus, si bien que le 22 mai, les autorités de l’ULB ont adressé un mail à l’ensemble de la communauté universitaire, cosigné par Annemie Schaus, Rectrice, Bernard De Cannière, Président du Conseil d'administration, et Isabelle Mazzara, Directrice générale. Je le reproduis ici in extenso :

« L'occupation d'un de nos bâtiments du campus du Solbosch par un mouvement «Free Palestine» se radicalise. Nous souhaitons être très clairs sur l'attitude de notre Université à ce sujet: 1. Nous sommes, comme d'autres universités du pays, victimes de cette occupation, et en constituons la première cible. Les revendications des occupants s'adressent à nous, et leur caractère outrancier fait qu'il est hors de question de s'inscrire dans leur logique. Il n'y a donc aucune tolérance quelconque de l'ULB à l'égard de cette occupation radicale. 2. Depuis le 7 mai, des faits que l'on peut qualifier d'antisémites ont été commis par certains des occupants ou de leurs soutiens. Ceci est proprement intolérable et tombe sous le coup de la loi. Cela heurte également de front les principes qui ont toujours guidé notre Université. L'ULB a immédiatement déposé plainte. De nouvelles plaintes pénales sont en cours et vont incessamment être déposées. 3. Nous ne pouvons que récuser les attaques diffamatoires et indignes qui pointent l'ULB comme une complice des propos violents et des agissements qui ont eu cours ou voient l'antisémitisme structurellement toléré chez nous. C'est là totalement faux et ces allégations méconnaissent notre engagement indéfectible contre toute forme d'antisémitisme et de racisme, comme c'est méconnaître la réalité des faits au bénéfice de contrevérités. 4. La radicalité idéologique de cette occupation, son refus du débat, son refus d'aborder le conflit du Proche-Orient dans sa complexité, nous ramène à la nécessaire obligation de traiter cette question, comme tous les autres débats de société ou tous les autres débats politiques, en puisant dans les ressources du libre examen. La dramatique violence de l'attaque terroriste du Hamas et la prise d'otages, tout comme celle de la réaction israélienne contre Gaza, heurtent frontalement les démocrates soucieux des droits humains que nous sommes. Ce n'est pourtant que par le débat contradictoire, respectueux et nuancé que nous progresserons dans la compréhension du contexte de la guerre à Gaza. Nous avons d'ores et déjà pris une initiative pour susciter ce débat, le 3 juin prochain. Nous prendrons d'autres initiatives, dans les mois qui viennent, pour remettre le libre examen au cœur de notre projet et promouvoir à l'Université une culture du débat qui refuse avec vigueur de nourrir la polarisation. 5. Nous tentons de poursuivre le dialogue avec les occupants. Contrairement à ce qu'ils affirment, nous ne les «menons pas en bateau ni ne méprisons leurs revendications». Au contraire, nous avons répondu à chacune de leurs questions et cette réponse a été communiquée également à l'ensemble de la communauté universitaire. Depuis celle-ci, il ressort de l'analyse de la convention avec Thales qu'elle n'est plus en vigueur et qu'elle n'a pas été renouvelée par la faculté concernée ni par l'Université. Une nouvelle revendication concerne nos relations avec les banques AXA et BNP Paribas Fortis. AXA, lors de son assemblée générale du 23 avril 2024 a confirmé n'avoir plus aucun investissement dans les banques reprises dans la liste des Nations Unies. Quant à BNP Paribas Fortis Belgique, cette banque belge est totalement indépendante et n'a aucun investissement dans les banques visées par les Nations Unies. Pourtant et malgré tout, aucune de nos exigences - même celles relatives aux mesures élémentaires de sécurité - n'ont été ni acceptées ni respectées. Il s'agit de respecter des conditions raisonnables de l'occupation, entre autres, éviter les dangers, respecter les usagers du campus, dialoguer sur un autre endroit d'occupation pour laisser le bâtiment B libre pour les examens dont de nombreux examens des étudiants à besoins spécifiques, ne pas être masqués, ne pas endommager le matériel, laisser les issues de secours libres, etc. Nous tenions à vous en aviser. Nous restons évidemment vigilants et en alerte et ouverts à un dialogue équilibré et constructif. Très cordialement »

Suite à cela, une « assemblée générale » s’est réunie au sein-même du bâtiment B le lendemain, 23 mai donc, en présence de la Rectrice Annemie Schaus, accompagnée de Marius Gilbert (vice-recteur à la recherche) et de trois professeurs de l‘ULB présents, semble-t-il, à titre personnel : Corinne Torrekens (spécialiste de l’islam), Andrea Rea (spécialiste des migrations) et Olivier Corten (professeur de droit international).

Avant l’arrivée de cette délégation, le ton fut donné par les activistes : il fut annoncé qu’au cas où la rectrice se montrerait trop condescendante en prétendant « daronner » les occupants, une « team care » était à disposition des personnes qui le souhaiteraient. Des masques médicaux furent distribués, afin de contourner le rappel par la rectrice de l’interdiction d’être masqué. Et pour les personnes ne parlant pas français, une traduction en anglais ou en arabe était prévue sur demande dans un coin de l’auditoire.

Les occupants avaient prévu de ne permettre la prise d’images (photos et vidéos) qu’à un seul média « de confiance », ZinTV. Ce ne sera finalement pas le cas, la rectrice s’y étant formellement opposée dès lors que cela n’avait pas été annoncé, soutenue en cela par ceux qui l’accompagnaient. C’est un vote à main levée qui régla la question.

La principale question abordée par les représentants de l’occupation fut celle du boycott des universités et des organismes financiers (BNP et AXA) avec lesquelles l’ULB entretient des partenariats ou des liens quelconques. Pour les occupants, l’essentiel est de pénaliser ce que certains n’ont cessé de nommer « l’entité sioniste », et peu importe donc que, comme le soulignait Marius Gilbert, les chercheurs sanctionnés soient progressistes. La rectrice finit par dire qu’elle mettrait le boycott total à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil académique, et proposerait également l’annulation (et non la simple suspension) du partenariat avec l’université de Tel Aviv.

Le mécontentement était également patent suite au mail des autorités académiques, qui fut qualifié de diffamatoire et de mensonger, bien que la rectrice ait pris soin de préciser que les dérives dénoncées d’étaient pas nécessairement le fait des occupants présents. A les en croire, ce mail les qualifiant de radicaux, de violents ou d’antisémites les mettrait en danger ! La rectrice tenta bien de souligner qu’elle recevait des messages d’étudiants se sentant en danger sur le campus du fait de l’occupation, les occupants n’étaient visiblement pas prêts à quitter leur posture revendicatrice auto-centrée.

Un troisième point concernait ce qu’on pourrait appeler le respect d’un cadre minimal. Ainsi, la rectrice revint sur la projection récente de sacs d’immondices sur le rectorat, que bien sûr aucun de ces activistes n’étaient ensuite venus nettoyer. Plus important, elle déplora le fait que les occupants du bâtiment aient refusé d’enlever les barricades placées par eux devant les portes de sécurité, alors qu’elle-même avait renoncé à placer des barricades devant le bâtiment occupé, barricades qui aurait empêché les occupants de revenir sur les lieux après le weekend. De même, elle regretta qu’ils persistent à occuper l’étage, alors qu’elle leur avait demandé, pour des raisons de sécurité, de ne pas le faire. Enfin, elle insista sur les risques liés au fait qu’elle n’ait, comme adresse de contact avec eux, qu’une adresse mail anonyme, et aucun numéro de téléphone à appeler en cas d’urgence. Des regrets qui furent actés, sans qu’elle reçoive en retour un quelconque engagement d’aucune sorte…

Un autre point litigieux, manifestement stratégique, fut celui du local technique : ce dernier, en effet, est fermé par des chaînes, et les ouvriers ne peuvent donc plus y accéder, ce qui les place de facto en chômage technique. La sensibilité des occupants envers les damnés de la terre ne pouvant évidemment se limiter au peuple palestinien, la piste d’une collecte entre étudiants (pourtant déjà précarisés) pour rémunérer ces ouvriers fut même brièvement évoquée. L’exigence formulée par la rectrice de simplement ôter les chaînes afin qu’ils puissent reprendre le travail fut considérée comme définitivement irrecevable : les chaînes ne seraient enlevées que lorsque les revendications des occupants seraient rencontrées ! En conséquence, la rectrice finit par déclarer avoir toujours payé tout le monde, et que les ouvriers seraient donc bien payés par l’ULB.

Enfin, il fut brièvement question des étudiants à besoins spécifiques. En effet, le bâtiment B avait été initialement prévu pour accueillir, outre le K, les examens de ces étudiants. Détail amusant, ce sont les occupants de ce bâtiment qui soulevèrent la question, semblant suggérer que les autorités académiques utilisaient cet argument pour les culpabiliser dans leur noble lutte. Qu’à cela ne tienne : la rectrice cherchera un autre endroit…

Un dernier mot sur les membres du corps académiques présents lors de cette réunion, et dont quelques propos méritent d’être épinglés. Corinne Torrekens, ainsi, n’hésita pas à déclarer aux occupants du bâtiment « Je suis fière de vous », avant de dire plus tard soutenir l’occupation et la plupart des revendications, mais être cependant mal à l’aise avec un incident survenu le vendredi précédent, lorsque deux hommes affiliés au mouvement se sont mis à crier « Mort à Israël » devant le bâtiment. Un cri dont elle précisera toutefois qu’elle « s’en fout de savoir si c’est antisémite ou pas ». L’assemblée présente, faut-il le préciser, ne vit rien de problématique dans ce cri, et l’un des participants l’assortit même d’un « Mort à la France », soucieux de marquer sa solidarité avec le peuple kanak.

Andréa Réa, quant à lui, affirma soutenir le mouvement, mais être mécontent de la pression exercée par les occupants sur les autorités académiques. Quant à Olivier Corten, il n’hésita pas à affirmer son soutien de principe à la résistance armée.

Et c’est peut-être ce dernier point qui est le plus inquiétant : qu’un professeur d’université ose soutenir, en présence de la rectrice et sans qu’elle réagisse, le droit à la résistance armée devant des « étudiants » qui semblent déjà totalement acquis à la cause, puisqu’ils occupent un bâtiment qu’ils ont renommé du nom de Walid Daqqa, un terroriste du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) récemment décédé en prison, et qu’ils ont orné ledit bâtiment d’une bannière à l’effigie du terroriste libanais Georges Ibrahim Abdallah, d'une autre indiquant "Gloire aux martyrs", et d’un étendard figurant une femme en keffieh, Kalachnikov à la main.

Après le départ de la rectrice, une jeune activiste venue des Pays-Bas prévint d’ailleurs contre les discours libéraux : « Dès que vous grattez une personne libérale, un fasciste est en-dessous ». Elle exhorta à ne pas faire de compromis et à écouter Gaza, qui demande une escalade. Et lorsque l’assemblée générale se termina, tous quittèrent la salle en devisant, tandis que les occupants entonnaient des chants en chœur : « From the river to the sea, Palestine will be free », « There is only one solution, intifada revolution », ou « Vive la lutte armée du peuple palestinien ».

Notons enfin que la CGSP Enseignement Recherche et l'Union syndicale étudiante soutient l’occupation en cours du bâtiment B, estimant que ceux qui la conduisent  « expérimentent une autre manière de vivre ensemble, inspirée par des principes de démocratie directe dont nos Autorités pourraient être fières. »

La démocratie, si vous voulez mon avis, prend un tour drôlement inquiétant à l’ULB, ces temps-ci…

 

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