Grâce à Estelle et la RTBF, j'ai fait le test des privilèges que me confère ma blanchité
Estelle Depris apprend aux personnes blanches à être moins racistes.
Voilà ce que nous apprend la RTBF, chaîne publique d’information belge francophone
L’idée, toute simple, est que les personnes blanches prennent conscience de leurs privilèges. Car « Privilèges et discriminations fonctionnent de manière asymétrique : l’un érige des barrières, l’autre octroie des avantages et des accès favorisés à des ressources matérielles comme symboliques. ».
Bien sûr, Estelle ne valide pas l’existence de « races » humaines : elle parle de la « race » au sens sociologique du terme. Car c’est évident, en tout cas pour elle : «
notre société a créé, dans son Histoire, des catégories qu’elle a définies sous terme de races pour hiérarchiser et diviser les groupes humains afin que les personnes perçues comme blanches puissent accéder à l’ensemble du pouvoir et puissent exploiter les personnes qui étaient vues comme inférieures. »
Et pour ceux qui seraient dubitatifs, l’article publié sur le site de la RTBF permet de faire un test afin de savoir à quel point on est privilégié, et donc de prendre conscience, si nous sommes blancs, des privilèges que nous confère notre blanchité.
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J’ai donc fait ce test, dont je vous livre ici les résultats et mes commentaires :
Autant dire que ça commence fort, par cette affirmation « Je peux, si je le souhaite, m’arranger pour être la plupart du temps en compagnie de personnes de ma race ». Est-ce mon cas, oui ou non ? Difficile à dire lorsqu’on n’a jamais pensé à essayer de « s’arranger » pour être avec des personnes de sa « race », et qu’on n’a même jamais classé consciemment son entourage en fonction de ce critère… De plus, quand bien même être en compagnie de personnes de ma “race” serait une préoccupation pour moi, je ne choisis pas, la plupart du temps, en compagnie de qui je vais me trouver, que ce soit dans mon univers professionnel ou dans mes activités para-professionnelles diverses. Mais soyons de bonne volonté, et disons oui. 1 point.
2/16 : « Je peux être à peu près certain que mes voisins de quartier sont soit neutres, soit aimables avec moi », m’a plongée dans un abîme de perplexité, car à l’exception de mes adorables voisins directs, avec lesquels j’entretiens d’excellentes relations, je ne peux pas être certaine que mon voisinage est neutre ou aimable envers moi, et je peux même imaginer que certains sont en parfait désaccord avec mes positions publiques et me détestent cordialement. 0 point.
3/16 : « Je peux faire mes courses seul la plupart du temps, en étant à peu près sûr que je ne vais pas être suivi ou harcelé ». Oui, à peu près, parce que j’habite un quartier tranquille. Mais je suis une femme, quand même, et pour ne rien arranger une personnalité publique « clivante », et donc non, je ne peux jamais me sentir totalement à l’abri ni du sexisme ordinaire, ni d’une agression pour un motif plus “politique”… 0 point.
4/16 : « Je peux allumer la télé ou regarder la première page du journal et voir les gens de ma « race sociale » largement représentés ». Oui, d’accord : si c’est ce qu’Estelle veut dire, il y a fort probablement plus de « Blancs » que de personnes issues de la diversité ethnique dans les médias. Mais en quoi est-ce un problème ? Ce n’est que le reflet de la société belge, composée à 20% seulement de personnes d’origine étrangère selon Statbel. 1 point.
5/16 : « Quand on me parle de notre « civilisation », on sous-entend que ce sont les gens de la même couleur que moi qui l’ont bâtie ». Là, je suis perdue. S’il s’agit de la civilisation européenne, ou occidentale, et que par « bâtir » on entend « poser les principes et valeurs », oui, ce sont majoritairement des Blancs qui l’ont bâtie. Je ne le sous-entend pas, je le dis, tout en sachant fort bien que cette civilisation ne s’est pas bâtie qu’avec des petits cœurs avec les doigts : elle s’est accompagnée de la colonisation et d’une exploitation humaine difficilement défendable, la chose est entendue, mais ne mélangeons pas tout. 1 point.
6/16 : « Je peux être sûr qu’à l’école, mes enfants recevront un enseignement qui témoignera de leur « race sociale ». Gloups ! Je suppose que je dois comprendre que l’enseignement délivré en Belgique est axé prioritairement sur notre histoire, et qu’il accordera donc une large place aux figures historiques qui ont permis la construction de l’Occident, de l’Europe et de la Belgique. Je suis assez sûre cependant qu’ils entendront parler de la colonisation belge, du commerce triangulaire, de l’esclavage, de la Shoah et d’autres faits historiques peu glorieux qu’on leur apprendra à analyser et à critiquer, munis des outils critiques dont nos sociétés se sont progressivement dotées via les différents textes consacrant les droits de l’Homme. Sans doute sera-t-il plus difficile aux enfants d’origine extra-européenne de s’approprier cette histoire comme “leur” histoire, mais une fois encore, j’ai du mal à voir en quoi cela témoignerait d’un quelconque racisme structurel. 1 point.
7/16 : « Je peux entrer dans un magasin de musique et y trouver représentée la musique de ma « race sociale », dans un supermarché et y trouver les aliments de base qui correspondent à mes traditions culturelles, chez un coiffeur et trouver quelqu’un pour me couper les cheveux ». En effet, si l’on excepte l’épineuse question du coiffeur, je peux répondre que c’est mon cas. 1 point.
8/16 : « Je peux être sûr que mes enfants étudieront dans des manuels scolaires qui témoignent de l’existence de leur race ». Là, il me semble que c’est un peu répétitif par rapport à la question 6, mais je suppose que l’idée est de dénoncer le peu de représentations de personnes « racisées » dans les manuels scolaires. Donc oui. 1 point.
9/16 : « Je peux réussir dans une situation difficile sans qu’on dise que je fais honneur à ma race ». Oui, en effet, et j’ose espérer qu’il en sera de plus en plus ainsi pour tous mes concitoyens, quelle que soit leur origine ethnique. Par contre, il est arrivé que l’on attribue ma réussite à ma couleur de peau, et je confirme que c’est extrêmement vexant. 1 point.
10/16 : « On ne me demande jamais de parler au nom de toutes les personnes de mon groupe racial ». Non, mais Estelle le fait très bien, par contre. Et d’autres ne se privent pas de bâtir des théories sur « les Blancs » et « la blanchité », dont Estelle s’inspire d’ailleurs largement ici. 0 point.
11/16 : « Je peux critiquer notre gouvernement et dire que je redoute sa politique et ses décisions sans être considéré comme un étranger ». Oui, certainement. Sauf quand je dis que je suis républicaine et qu’on me rétorque que je n’ai qu’à aller vivre en France, dans ce cas. Mais je suppose que ce n’est pas pareil. Allez, soyons bon prince (bonne princesse ?), 1 point.
12/16 : « Je peux être sûr que si je demande à parler à la personne responsable, j’aurai en face de moi une personne de ma race ». Non, absolument pas. il m’est souvent arrivé d’être confrontée à des responsables d’une origine ethnique différente de la mienne, et de toute façon je m’en fiche : j’espère juste avoir face à moi quelqu’un de compétent. 0 point.
13/16 : « Si un agent de la circulation m’interpelle ou si on vérifie ma déclaration d’impôts, je peux être sûr que ce contrôle n’est pas lié à ma race ». Oui, c’est sans doute vrai. 1 point.
14/16 : « Je peux être sûr que si j’ai besoin d’une aide juridique ou d’une aide médicale, ma race ne jouera pas contre moi ». Oui, mais cet énoncé peut recouvrir des situations très diverses, allant de la discrimination raciale au manque de connaissance des médecins européens en matière de maladies plus répandues dans la population d’origine africaine. 1 point.
15/16 : « Je peux choisir du fond de teint ou des pansements de couleur « chair » qui correspondent plus ou moins à ma peau ». Je ne porte pas de fond de teint et me fiche pas mal de la couleur des sparadraps, que je souhaite avant tout élastiques et résistants à l’eau, mais oui. 1 point.
16/16 : « Je peux jurer, m’habiller en seconde main ou ne pas répondre aux lettres, sans que l’on puisse attribuer ces choix à ma mauvaise moralité, à la pauvreté ou à l’analphabétisme propres à ma race ». Oui, brillante démonstration : les préjugés racistes existent encore, et j’y échappe largement sur le sol belge. 1 point.
Que conclure de tout ceci ?
Je suis une privilégiée, à n’en pas douter, avec 12 points sur 16 sur l’échelle des privilèges liés à ma blanchité, et seuls 2 des points « perdus » sont liés à cette blanchité (questions 10 et 12). Les deux autres points relèvent davantage de mon statut de femme et de personnalité publique.
Et je l’admets volontiers : c’est plus facile de faire partie de la majorité, qu’il s’agisse de couleur de peau, de conviction religieuse ou politique, d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’indice de masse corporelle ou de quelqu’autre critère.
Mais ceci étant posé et admis, ce test mélange des choses à mes yeux très différentes. Les unes sont de véritables comportements discriminatoires, qui doivent être condamnés. Traiter quelqu’un différemment, en l’occurrence moins bien, parce qu’il est d’une autre origine ethnique, c’est du racisme, et c’est condamné par la loi. Mais seuls 6 énoncés sur les 16 décrivent des comportements discriminatoires.
Les autres énoncés décrivent des difficultés certes bien réelles liées au fait de vivre dans un pays dont la culture n’est pas celle de son pays d’origine : apprendre à l’école une histoire différente de celle de son continent d’origine, avoir des difficultés à trouver les ingrédients de son plat favori, la musique qu’écoutait notre grand-mère ou des produits de beauté adaptés à sa carnation, ou simplement vivre dans un pays où la plupart des gens sont blancs et où on est donc “visible”, c’est ennuyeux, cela peut même être source de souffrances réelles, mais cela ne saurait servir d’indice d’une société raciste, de même que cela ne traduit en rien une volonté d’exploitation ou de domination de personnes « vues comme inférieures ».
De plus, qu’il s’agisse de comportements discriminatoires ou de difficultés liées au fait d’appartenir à une minorité, cette réalité existe dans toutes les sociétés du monde. Un Blanc au Mali, un Noir en Tunisie, un Asiatique au Brésil rencontreront les mêmes écueils et les mêmes injustices.
Le problème du discours d’Estelle, comme celui de tant de décoloniaux, est en réalité qu’il politise de manière intellectuellement malhonnête une réalité universelle. Partout, il est difficile d’être minoritaire. D’où qu’on vienne, il est difficile de vivre loin de ses racines. Où que l’on vive, on rencontrera de l’intolérance et du rejet, ainsi que des manœuvres d’essentialisation qui nous réduiront à une composante de notre individu que nous n’avons pas choisie.
Alors oui, il faut lutter contre le racisme, et le dénoncer haut et fort chaque fois qu’on en est témoin. Mais sans tomber dans l’excès inverse, qui conduirait à considérer comme l’indice d’un racisme structurel toute difficulté liée à une position minoritaire.