Qu’est-ce qui fait courir la Team Fouad Ahidar ?

Publié le par Nadia Geerts

Fondée en 2024, la Team Fouad Ahidar est un parti politique créé par le député bruxellois du même nom. Et en peu de temps, ce parti a obtenu un succès retentissant, devenant lors des élections de juin dernier le deuxième parti flamand à Bruxelles. Une percée qui inquiète bien des observateurs de la vie politique belge par les accents communautaristes de sa campagne, très axée sur le triptyque voile – étourdissement - Gaza. Pour ne rien arranger, à l’approche des élections communales du 13 octobre, plusieurs personnalités politiques, issues de partis extrêmement divers, ont rejoint la Team Fouad Ahidar. Et celle-ci engrange aujourd’hui un succès inquiétant dans plusieurs communes bruxelloises : 14% des voix à Molenbeek et Anderlecht, 11% à Bruxelles-ville et à Jette, 8,5% à Schaerbeek !

Comment expliquer ce succès ?

 

Fouad Ahidar n’est pas un petit nouveau en politique. Né à Malines en 1973, il fait des études d’assistant social, puis fait ses débuts en politique au début des années 2000, au sein du cabinet du ministre flamand de la Culture et de la Jeunesse Bert Anciaux - une des figures de proue de la Volksunie, qui implosa en 2001 pour donner naissance au parti nationaliste flamand N-VA.

Sa vie politique se construit ensuite au sein du parti socialiste flamand (SP.a-Spirit, rebaptisé ensuite Vooruit), dont il devient député bruxellois en 2004. De 2014 à 2019, il est vice-président du Parlement bruxellois, et il est exclu du bureau politique de Vooruit en 2022 après avoir voté contre l’obligation d'étourdissement des animaux avant abattage, enfreignant ainsi la consigne donnée par son parti. Il quitte alors Vooruit et siège comme indépendant jusqu’à la fondation de sa « Team » en 2024.

Lors des élections de juin 2024, sa liste obtient 13.242 voix  (2,8% des voix) au Parlement bruxellois et 24.826 voix à la Chambre. Avec trois sièges au Parlement bruxellois, la Team Fouad Ahidar devient le deuxième parti du collège néerlandophone bruxellois (qui compte 17 sièges garantis sur 89), derrière les écologistes de Groen, mais devant la N-VA. Et un siège, au Parlement fédéral cette fois, lui échappe de peu.

Par ailleurs, à l’approche des élections communales du 13 octobre, plusieurs personnalités politiques annoncent rejoindre la Team Ahidar. La première à sauter le pas est Ange-Raïssa Uzanziga, qui quitte les écologistes flamandes de Groen, compliquant singulièrement la formation d’une majorité néerlandophone au Parlement bruxellois. En effet, si l’un des quatre députés Groen actuellement en place devait quitter le parlement, la Team Fouad Ahidar y deviendrait le plus grand groupe néerlandophone.

Après Ange-Raïssa Uzanziga, ce sont Elias Ammi (Défi), Mehmet Bilge (Défi), Sarah Bestrioui (Ecolo), Yousra Ouchen (Ecolo), Mourad Maimouni (ex PS) et Nadine Van Lysebetten (ex NVA) qui ont annoncé rejoindre le parti de Fouad Ahidar.

Or, qu’est-ce qui peut bien rassembler des candidats issus de formations politiques allant de la gauche écologiste à la droite nationaliste ? Cette question, Bernard Clerfayt (DéFI), ministre bruxellois de l’Emploi et ancien bourgmestre de Schaerbeek, la formulait récemment sans langue de bois : « Partagent-elles la vision communautariste de Fouad Ahidar? ».

Fouad Ahidar, lui, attribue son succès à la diversité: « Notre liste comprend toutes les nationalités, des autochtones et des allochtones, des néerlandophones et des francophones. C’est l’aboutissement de vingt ans de politique ».

Selon la chercheuse au CRISP Caroline Sägesser, l’explication tient davantage dans la personnalité de Fouad Ahidar : « Il a réussi à projeter cette image d’homme ordinaire, simple dans sa façon de parler et même de s’habiller ». Et en effet, les observateurs s’accordent généralement à reconnaître que Ahidar est jovial, spontané, sympathique.

Sauf bien sûr lorsqu’on le chatouille là où ça le gratte : on se souviendra en effet que le président du Parlement bruxellois avait recourir à une suspension de séance, le 16 mai 2022, lorsqu’au cours des auditions relatives à la neutralité de l’État, deux orateurs (Jamila Si M’hammed et Willy Wolsztajn) avaient osé esquisser un lien entre l’action pro-hijab et l’activisme frériste en Belgique. Ahidar s’était alors emporté, interrompant grossièrement les orateurs et faisant mine de quitter la salle.

Et de toute évidence, Ahidar n’aime pas qu’on touche au « foulard » ou qu’on promeuve la neutralité. D’ailleurs, la neutralité, il n’y croit pas. Il se pose en défenseur de « ceux qui souffrent », et se dit « fier de les représenter. Il y a des gens qui se sentent discriminés qui estiment que ce n’est pas normal qu’on ne puisse pas travailler quand on est une femme avec un foulard sur la tête. Moi, je veux l’efficacité, je veux des personnes qui travaillent à la commune qui soient honnêtes, peu importe ce qu’elles ont sur la tête. Personne n’est neutre, la seule chose qui doit être neutre, c’est le service rendu à la population.»

Quant à séparer le religieux du politique, il y est favorable, mais d’une manière pour le moins personnelle, puisque selon lui, c’est à l’État « de se désengager des cultes. Car c'est l'État aujourd'hui qui dit si on peut porter le voile, sacrifier les bêtes, financer les lieux de cultes… Pour moi, c'est à la population de décider librement si elle veut porter un voile, une kippa, une croix ou manger halal. »[1]

 

Mais ce n’est pas le plus grave.

Ahidar s’est ainsi distingué pour avoir été en 2010 l’un des premiers à signer la pétition exigeant le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes: « Moi j’ai signé la charte aussi, je crois que je suis un des tous premiers à l’avoir signée pour retirer justement le Hamas de cette liste qui le traite de terroriste ».

En 2013, Ahidar il affiche sa sympathie pour les Belges musulmans partis faire le djihad armé en vue de l'édification d'un État islamique. Il dira ainsi d’Abderahman Ayachi, fils de Bassam Ayachi, 'Sheik Bassam' - un Molenbeekois d'origine franco-syrienne lié aux assassins du commandant afghan Massoud et à la « veuve noire du djihadisme », la Bruxelloise Malika El Aroud - : « Je connais la famille Ayachi de Molenbeek-Saint-Jean depuis longtemps. (…) Je trouve très compréhensible et courageux qu'Abdel Rahman aille se battre dans son pays, la Syrie ».

Ahidar poste même sur le mur Facebook d’Abdelrahman Ayachi le message suivant: « Prenez soin de vous, cher Abdelrahman. (…) Nos prières sont avec vous. »[2]

Abdelrahman Ayachi sera tué en juin 2013 en Syrie, et avait été condamné en 2009 par la Cour d’appel de Bruxelles pour incitation à la haine antisémite, et par contumace en 2012 pour terrorisme.

De même, en août 2024, Ahidar se dit « ravi » et « soulagé » que la Cour d’appel de Bruxelles ait autorisé le retour en Belgique de l’imam salafiste Mohamed Toujgani et l’acquisition par ce dernier de la nationalité belge[3] - cette décision faisant aujourd’hui l’objet d’un recours en cassation initié par le Parquet général. Cet imam molenbeekois avait pourtant été expulsé en 2021 sur base de rapports de la Sûreté de l'État détaillant le contenu de ses prêches antisémites et anti-occidentaux dans lesquels il avait, entre autres, appelé à brûler les Juifs[4]. Et plusieurs fidèles de la mosquée al Khalil où il prêchait ont rejoint les rangs djihadistes, parmi lesquels Chakib Akrouh, l'un des terroristes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Peu avant les élections de juin 2024, des associations juives ont rendue publique la plainte déposée contre deux élus bruxellois, candidats aux élections du 9 juin : Nadia El Yousfi (PS) et … Fouad Ahidar, qui avait qualifié le 5 novembre 2023 les juifs de « psychopathes » et de « terroristes », et déclaré que « Moi qui suis parti à Auschwitz, en Pologne, pour aller voir ce que c’est un génocide, ce que c’est un massacre, eh bien je peux constater aujourd’hui qu’on utilise pratiquement les mêmes méthodes », ou encore que « Les juifs sont des élèves qui sont devenus des mauvais maîtres. Ils ont subi, ils ont été persécutés, beaucoup ont été massacrés. […] Aujourd'hui, ils font pire ».

Enfin, Fouad Ahidar a également comparé l'attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 « à une petite réponse qui a été donnée par une partie du Hamas aux actions d'Israël »[5] suscitant la polémique jusque dans son propre camp et motivant l'opposition à demander sa démission de la présidence du conseil de la Commission communautaire flamande.

 

Si certains partis, à droite de l’échiquier politique flamand, refusent catégoriquement de faire alliance avec la Team Fouad Ahidar, d’autres en revanche ne l’excluent pas. Ainsi, la bourgmestre socialiste de Molenbeek, Catherine Moureaux, n’a pas caché avoir mené des négociations avec la Team Fouad Ahidar, qui se sont avérées infructueuses, pour créer une liste commune aux prochaines élections communales.

Au Parlement bruxellois, Bert Anciaux (Vooruit) estime quant à lui que « Groen, Team Fouad Ahidar et Vooruit est la seule solution viable ». Quant à la formatrice Elke van den Brandt (Groen), elle espérait bâtir une coalition entre Groen, l’Open VLD, Vooruit et le CD&V. Mais si Benjamin Dalle (CD&V) continue à repousser cette option, il faudra nécessairement se tourner soit vers la NVA, soit vers la Team Fouad Ahidar pour constituer une majorité.

Alors, faudra-t-il choisir entre les nationalistes flamands et ceux que le député NVA Theo Francken qualifie de « charia-club haineux, ultra-conservateur, antisémite et homophobe » ?

Ahidar, quant à lui, prétend que son seul souci est de plaire à Dieu : « Plaire à qui ? Moi je plais à Dieu. (…) [L’important c’est] que mon Dieu soit heureux. »

Et son Dieu, à n’en pas douter, est – en tout cas à ses yeux - un islamiste antisémite.

 
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