Au nom du père
Ainsi donc, les parents devraient pouvoir bientôt choisir de donner à leur enfant le nom du père, celui de la mère ou les deux, dans l’ordre de leur choix. En cas de désaccord entre eux – ce qui augure mal de la longévité du couple, à mon humble avis… -, l’enfant portera d’office les deux noms, en commençant par celui du père. Une belle avancée vers plus d’égalité, selon beaucoup. Dont je ne suis pas.
Mes prises de position en la matière, que ce soit dans la presse ou sur les réseaux sociaux, m’ayant valu les railleries de ceux qui y voyaient une risible incohérence – quoi, moi, la féministe universaliste, j’invoquais soudain la nature et la différence entre les sexes !? – je vais tenter d’expliciter ici plus longuement mon point de vue.
Je récuse en effet tout féminisme différentialiste, qui attribuerait aux hommes et aux femmes des qualités, compétences et autres comportements sur base de leurs différences morphologiques et génétiques. Pour le dire simplement, je ne pense pas qu’avoir un utérus fasse des femmes des êtres naturellement maternants, ni d’ailleurs soumis, passifs, empathiques ou que sais-je encore. De même, je ne pense pas qu’avoir un pénis fasse des hommes des êtres naturellement dominateurs, assertifs ou conquérants. Je suis convaincue que toutes ces déterminations souvent associées au sexe sont bien davantage sociales que biologiques, et en ce sens je distingue le genre – construction sociale – du sexe.
Pour autant, il ne me viendrait pas à l’esprit de nier l’existence de quelques caractéristiques morphologiques que seule une mauvaise foi crasse pourrait faire nier. Alors oui, je l’affirme crânement : seules les femmes, dans l’état actuel des choses, peuvent porter les enfants. Scoop.
Avant d’aller plus loin, je précise d’emblée que cela ne saurait nullement obliger les femmes à avoir des enfants. Car une potentialité ne saurait, sans dérive inquiétante, se muer en obligation : c’est pour le coup que la nature imposerait sa « loi », limitant dramatiquement la liberté !
Venons-en maintenant à la problématique du nom de l’enfant. L’idée que je défends est la suivante : puisque la mère entre dans la maternité par le biais de la grossesse – qui peut être éprouvante, merveilleuse ou relativement bien balancée entre moments de joie et nausées et autres douleurs, là n’est pas la question -, il ne me semblait pas idiot de prévoir pour celui – ou celle, car mon raisonnement vaut également pour les couples de femmes – qui n’a pas porté l’enfant une autre manière d’entrer dans la parentalité. Mécanisme symbolique donc, qui ne permet ni ne dédouane évidemment d’aucun rôle effectif d’éducation de l’enfant, mais signe l’entrée dans un rôle, celui de coparent – je préfère ce terme à celui de « père », qui restreint l’approche à un point de vue hétérosexuel.
Je ne voyais donc aucune injustice à ce que l’enfant porte comme seul nom celui de son père. Plus, j’y voyais également un mécanisme, tout aussi symbolique, par lequel la mère reconnaissait l’identité de celui – car ceci valait hélas uniquement pour les couples hétérosexuels – avec lequel elle avait conçu l’enfant. Une manière de dire à la société que ce petit être qu’elle mettait au monde avait été conçu avec Monsieur X, et n’était donc – toujours symboliquement – pas né d’elle seule.
Ce sont ces raisons qui font que je ne vois pas de motif de se réjouir – au nom de l’égalité – de ce que les enfants puissent désormais porter le nom de leurs deux parents, et encore moins de ce qu’ils puissent porter le nom de leur mère seule. Je vois en effet dans cette dernière possibilité (et le fait qu’elle soit validée par le père n’y change rien) une manière de faire symboliquement de l’enfant celui de sa mère seule, et donc de nier le second coparent, qui existe nécessairement dans un couple marié.
Or, rappelons que cette loi ne vaudra bien évidemment que pour les couples mariés : pour les autres, la possibilité existait déjà et continuera d’exister de donner à l’enfant leur seul nom de sa mère, pour peu que le père n’ait pas reconnu l’enfant. Ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord de la mère.
Ainsi Irène Kaufer épinglait-elle ainsi mes positions en la matière : “Nadia Geerts, qui se dit radicalement opposée aux quotas et autres "discriminations positives" en faveur des femmes au nom d'un "féminisme universaliste", soutient par ailleurs l'importance "symbolique" du nom du père et proclame son hostilité à la nouvelle loi sur la transmission du nom de famille, avec des arguments qui me paraissent tout à fait "différencilaistes" (ou pour le dire autrement : dans ce raisonnement, hommes et femmes sont présentés comme "complémentaires"). Voilà qui me paraît tout à fait contradictoire... »