Charlie est-il sympa ?

Publié le par Nadia Geerts

Suite au cocktail Molotov lancé sur Charlie Hebdo, le Collectif « Les Mots sont importants » se fend d’un article intitulé « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! ». Montrant une fois de plus sa mauvaise foi et son affection toute particulière pour le détournement du sens des mots.

 

Mis en ligne sur le site des Indigènes de la république, cet article dénonce « l’instrumentalisation bouffonne et intéressée » qui serait faite de la liberté d’expression dans cette affaire : après tout, ce cocktail Molotov n’a fait que des dégâts matériels, n’est-ce pas ? Il n’y a donc pas lieu, selon les signataires, de s’apitoyer sur les journalistes de l’hebdomadaire satirique, puisqu’ils sont assurés et que, grâce à l’ « islamophobie ambiante », leurs ventes seront décuplées. Bref, c’est finalement tout benef pour Charlie. A se demander s’ils n’ont pas eux-mêmes balancé ce cocktail Molotov, comme le suggèrent déjà pas mal de fins analystes de comptoirs virtuels sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs, ce collectif des amoureux de la langue nous rassure : « la liberté de critiquer l’islam est tout sauf menacée », et les kiosques à journaux et les programme télé en sont la preuve, eux qui fourmillent non seulement de critiques, mais aussi de caricatures et d’injures, « en toute tranquillité et en toute bonhommie ». J’aurais aimé, à ce stade de ma lecture, trouver quelques exemples de ces caricatures et injures, mais le collectif n’a pas de temps à perdre en vaines explications. Car il y a plus important : « en revanche, il est une liberté d’expression qui est bel et bien menacée, et même plus d’une : celle pour commencer des femmes qui voudraient s’habiller comme bon leur semble, sans qu’un Etat national-laïque leur impose par la loi un dress-code de bonne musulmane cheveux aux vents ; celle de ces mêmes femmes lorsqu’elles voudraient faire entendre leur ras-le-bol des regards, injures et discriminations qu’elles subissent quotidiennement au motif qu’elles portent un foulard ».

Nous y voilà ! Ouh le vilain Etat « national-laïque » - je sais pas vous, mais moi, ça me fait furieusement penser à autre Etat national-quelque chose, de sinistre mémoire – qui brime les femmes musulmanes dans leur liberté d’expression tout en prétendant défendre corps et âme ladite liberté d’expression !

Je dois être atteinte de cécité, de surdité ou de mal-compréhension chronique, mais je dois avouer n’avoir jamais eu l’impression que les femmes musulmanes étaient contraintes par la loi à se balader cheveux au vent. Je dois même être atteinte d’hallucinations, mais je vois régulièrement des femmes se promener en rue avec les cheveux dissimulés par un foulard, sans qu’aucun agent des forces de l’ordre ne s’en émeuve. Et c’est d’ailleurs très bien ainsi.

En revanche, je dois être atteinte de paranoïa aigüe, car j’ai toujours pensé que le type de propos tenus par des journalistes d’un hebdomadaire satirique serait inacceptable de la part d’un fonctionnaire public – d’une enseignante comme moi, par exemple. Et je me frotte les mains en songeant à toutes les horreurs blasphématoires que je vais pouvoir débiter en classe dès demain, dès lors que l’Etat (si c’est en Belgique comme en France) protège scandaleusement les anticléricaux primaires dans mon genre…

L’article continue en revendiquant que soit aussi donnée la parole « à la masse de celles et ceux, musulmans ou pas, qui n’éprouvent absolument aucune sympathie pour Charlie Hebdo ». ah ben oui, voilà une bonne idée ! C’est vrai que c’est quand même scandaleux : on lance un misérable petit cocktail Molotov de rien du tout dans un bâtiment désert, et du coup, on ne parle plus que des victimes ! Ne devrait-on pas entendre dans les médias, outre ceux qui se sont déjà exprimés avec la délicatesse que l’on sait, tous ceux pour qui Charlie, c’est de la merde, qu’il l’a pas volé, et que ce serait pas une grande perte s’il disparaissait du paysage médiatique ? D’ailleurs, ne devrait-on pas, de manière générale, donner plus la parole à ceux qui n’éprouvent aucune sympathie pour les victimes ? Moi, je trouve que ça ouvre des perspectives vertigineuses, pas vous ?  On profane un cimetière juif ou musulman, et zou, on va interviewer ceux qui n’ont aucune sympathie pour les Juifs ou les musulmans. Un personnage public se fait agresser : hop, on tend le micro à tous ceux qui trouvent que c’est bien fait, ou qui simplement trouvent que c’était quand même pas un mec très cool.

On pourrait même aller plus loin. Mais bon, je vous laisse y aller seuls, y a comme une odeur, je trouve.

Ce qui est chouette, c’est que l’article conclut sur des bons conseils aux amis de Charlie Hebdo. De ces conseils qui sentent l’amitié vraie : « la liberté d’expression consisterait, pour que les amis de Charlie Hebdo retrouvent une once d’honneur, à donner abondamment la parole aux proches de Ion Salagean, à ses amis résidents du 163 rue des Pyrénées, et plus largement aux Roms qui subissent depuis de nombreux mois, et depuis bien plus longtemps en fait, le plus brutal et le plus assumé des racismes d’Etat.»

Et ça, c’est vachement sympa, je trouve. Parce que bon, chacun a droit à l’erreur : Charlie Hebdo en a fait une, et de taille, en sombrant dans l’ « anticléricalisme primaire doublé d’une obsession islamophobe ». Mais il peut se rattraper, en parlant dorénavant des sujets que lui fournira le Collectif Les Mots sont Importants. Pour la plus grande gloire de la liberté d’expression.

 

 

http://lmsi.net/Pour-la-defense-de-la-liberte-d, Article signé par Saïd Bouamama, Youssef Boussoumah, Houria Bouteldja, Henri Braun, Abdelaziz Chaambi, Ismahane Chouder, Olivier Cyran, Christine Delphy, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle, Nawel Gafsia, Laurent Lévy, Hassina Mechaï, Ndella Paye, Faysal Riad, Arielle Saint Lazare, Karim Tbaili, Pierre Tevanian, Sylvie Tissot, et Najate Zouggari

Publié dans Laïcité - religions

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