Voile et mini-jupe : même combat ?

Publié le par Nadia Geerts

Le débat, après avoir connu une accalmie ces dernières années, resurgit en force ces dernières semaines. On connaît le leitmotiv « Ne me libère pas, je m’en charge ! » et le postulat : les femmes savent ce qui est bon pour elles, à elles de choisir le stratégies d’émancipation, et dès lors qu’elles ont choisi de porter le voile, de quel droit irions-nous les critiquer ? Ne sommes-nous pas, après tout, partisans de la liberté ?

Et la petite voix de poursuivre : « à moins que cette liberté ne soit jamais que la liberté pour ces femmes d’être comme vous, c’est-à-dire en somme des fashion victims consentantes, soumises aux diktats de la mode, esclaves du regard des hommes et de l’obligation de séduire ? ».

Et à ceux qui parlent de la réalité du voile en Iran, en Afghanistan, au Qatar ou ailleurs, les mêmes de s’étonner : en quoi l’utilisation qui est faite du voile ailleurs devrait-elle faire obligation aux femmes d’ici ? Quel rapport entre celle qu’on violente ou humilie là-bas parce que mal voilée, et celle qui décide librement de se couvrir la tête - avec la bénédiction de quelques grandes enseignes de la confection comme H&M, Marc & Spencer ou Dolce Gabana d’ailleurs ?

Excellente question, à laquelle je vais tenter de répondre ici.

Le voile signifie quelque chose. Et ce, indépendamment du sens que lui donne celle qui le porte. Et il en ira ainsi tant que, précisément, des mouvements politico-religieux en feront l’étendard de leur conquête. On peut certes décider que cela ne nous concerne en rien, nous les femmes occidentales, mais c’est un peu comme si un juif décidait de porter l’étoile jaune parce que ça fait joli sur son costume, ou parce qu’il croit que c’est ainsi qu’on marque qu’on est juif. Imaginons que la scène se passe, qui plus est, en Amérique au début des années 40, et on n’aura plus le choix que d’hésiter entre naïveté confondante et scandaleuse provocation.

Que signifie le voile ? Il est avant tout une manière de codifier la pudeur féminine islamique. La femme musulmane pudique dissimule ses cheveux sous un voile, et manifeste ainsi – consciemment, volontairement ou non - qu’elle n’est pas une femme de petite vertu ni une non-musulmane. Elle introduit ainsi une distinction nette entre elle et celles qui, d’une manière ou d’une autre, manquent à ce devoir de vertu. Elle indique aux hommes qu’elle est respectable, à épouser ou déjà mariée, mais en aucun cas disponible pour les jeux de séduction – en tout cas en théorie…

Bien sûr, toutes les femmes qui portent le voile ne veulent pas dire cela, et j’entends régulièrement proclamer qu’elles défendent vigoureusement le droit de chacune à s’habiller comme elle l’entend et d’être respectée.

Je ne doute pas de leur sincérité, mais elles n’en sont pas moins les instruments inconscients d’un projet politique qui les dépasse, et qui consiste à marquer les femmes, à les stigmatiser, au sens premier du terme, c’est-à-dire à leur faire porter la marque de leur infamie, à savoir leur sexe.

Oui, pour les islamistes – comme pour les premiers chrétiens, comme pour les juifs orthodoxes – la femme est créature diabolique. Elle est la tentatrice, la pécheresse, celle par qui le mal arrive. Il faut donc à tout prix dissimuler, domestiquer, dompter ce corps objet de désir. Il s’agit de conditionner la présence de la femme dans l’espace public : cacher ses cheveux, dissimuler ses formes, la faire accompagner de son père ou de son mari, la transformer en fantôme rasant les murs, grillager jusqu’à ses yeux, tout cela sont des conditions auxquelles la femme doit se plier si elle veut paraître sans scandale.

Qu’elle ne vienne pas se plaindre si, non voilée, elle est insultée, battue, molestée : elle n’avait qu’à exhiber les signes extérieurs de sa respectabilité, et rien de tout cela ne serait arrivé !

Le voile, en d’autres termes, rend non seulement la présence, mais aussi la respectabilité de la femme conditionnelle. Il proclame que si l’on veut être respectée, il faut être respectable. Une idée qui est l’exact contraire de la dignité inconditionnelle de la personne humaine proclamée par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Et la mini-jupe, dans tout ça ?

Certes, elle est un outil de séduction, comme le maquillage, les talons, les décolletés. Et à ce titre, elle consiste à accepter d’entrer dans un jeu dont nous n’avons pas édicté les règles nous-mêmes. Car ce sont bien entendu les hommes, des hommes, qui ont élaboré l’objet fantasmatique qu’est la femme objet, femme fatale, séductrice, tentatrice – tiens tiens… la revoilà !

Et pourtant, quelle différence ! Car les codes vestimentaires de la séduction laissent aux femmes infiniment plus de liberté que ceux de la pudeur islamique, version ayatollahs, mollahs et autres islamofascistes. Je crois pouvoir dire que je ne connais aucune femme sacrifiant tous les jours, à chacune de ses sorties, à ces codes. Certes, beaucoup de femmes ont dans leur garde-robe l’une ou l’autre pièce de vêtement évoquant davantage la bimbo que la femme moderne soucieuse de confort avant tout. Mais nous jouons toutes de ces codes, alternant jeans et mini-jupe, talons-aiguille et vieilles baskets. Sans que jamais ce jeu ne nous fasse courir le moindre risque physique : nulle police de la vertu pour nous rappeler que nous ne sommes pas assez sexy, nulle loi pour nous imposer un quelconque dress-code. Libre à nous de sacrifier un peu, beaucoup ou pas du tout aux diktats de la mode. Sans que jamais nous n’en soyons plus ou moins respectables.

Le jour où des femmes pourront porter un voile un jour, mais pas le lendemain, ce jour-là, le voile sera devenu l’équivalent de la mini-jupe. Mais ce ne sera plus un voile : ce sera un foulard, un accessoire de mode comme un autre, sans signification particulière autre que la recherche d’élégance, d’originalité ou de beauté. Il sera devenu ce que certains veulent à toute force que nous y voyions aujourd’hui, alors que l’évidence crève les yeux : le voile n’est pas un accessoire, parce qu’il est une obligation, un prescrit politico-religieux.

P.S. 1 Suite à la parution de cet article, certains se sont offusqués de ce que j'ose comparer le voile à l'étoile jaune. J'avoue ne pas comprendre ce que cette comparaison a de choquant, ni pour qui : serait-ce choquant de comparer les femmes aux juifs ? A moins que ce soient les islamistes qu'on ne saurait comparer aux nazis ? Doit-on se sentir vexé en tant que femme ? En tant que musulmane ? En tant que juif ? En tant qu' islamiste ?

Selon moi, l'étoile jaune comme le voile ont été imposés par un pouvoir totalitaire comme condition à la parution d'une partie de la population (les juifs dans un cas, les femmes dans l'autre) dans l'espace public. Ne pas les porter s'accompagne ou s'est acommpagné, pour l'un et pour l'autre, de risques pour sa sécurité, voire pour sa vie, dans les régimes où il est/était imposé. Le voile comme l'étoile jaune sont par essence discriminatoires en ce qu'ils conditionnent la présence de certains dans l'espace public. Ils inculquent en cela la honte d'être soi et l'obligation de porter sur soi le stigmate de sa condition. La seule différence est que les islamistes n'ont pas le projet d'exterminer les femmes, mais seulement de les rendre invisibles...

Au sujet de cette comparaison, on peut d'ailleurs lire ici les propos de Chahdorttt Djavann, que je reprenais déjà dans "Fichu voile" :http://lautjournal.info/articles-mensuels/226/le-voile-cest-letoile-jaune-de-la-condition-feminine.

P.S. 2 Il y a quelque chose de surréaliste dans la manière dont certains se voilent la face devant certaines évidences, dont le caractère éminemment politique du voile aujourd'hui. Dans une société mondialisée, comment peut-on faire comme si ce qui se passe à quelques milliers de kilomètres d'ici ne nous concernait en rien ? Comment peut-on ignorer que le voile fonctionne à l'évidence comme un marqueur, un stigmate ? Ma comparaison avec l'étoile jaune ne voulait que pointer cela, car quel meilleur exemple de stigmate que cette étoile jaune que les nazis imposèrent aux juifs pour mieux les marquer, puis les persécuter et les exterminer ? Je n'ignore rien de cela, et mon seul propos était de montrer à quel point il était ironique que des femmes, ICI, choisissent de s'affubler d'un signe qui, ailleurs, est l'emblème-même de la persécution. Est-ce si compliqué à comprendre ?


 

 

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