Gauche – droite

Publié le par Nadia Geerts

Ça doit faire trois ans environ.

Trois ans que régulièrement, je me vois reprocher de m’être radicalisée : en clair, il paraît que je suis sur une mauvaise pente, que je tourne mal, politiquement parlant.

Bien sûr, mon engagement au Centre Jean Gol, le centre d’études du MR, n’a rien arrangé. Certains y ont vu, certainement, la confirmation de ce que leur « flair » leur avait déjà fait percevoir : j’avais cessé d’être « de gauche », désormais j’étais « de droite » ; et je pouvais quasiment voir la pince-à-linge sur leur nez, lorsqu’ils disaient, ou écrivaient « de droite ».

 

En psychologie, on parle de dissonance cognitive.

C’est ça : je suis atteinte en permanence de dissonance cognitive.

On me dit que je suis « de droite ». Et comment le nier, puisque je travaille (avec bonheur, comble du comble !) pour un parti politique qui est classé à droite de l’échiquier politique ? Et (je m’enfonce), je fais plus qu’y travailler et m’y sentir professionnellement très heureuse : j’en partage les vues, pour l’essentiel, concernant les thématiques qui me tiennent à cœur et pour la défense desquelles j’y ai été engagée.

 

Je viens d’écrire « j’y ai été engagée ». Ce n’est pas tout-à-fait exact. La réalité, c’est que j’y ai été « détachée » lorsque l’atmosphère fut devenue pour moi irrespirable au sein de la Haute École où j’enseignais depuis dix ans. Je ne suis pas près d’oublier les attaques que j’ai subies, dès le lendemain (oui, littéralement le lendemain) de la décapitation de Samuel Paty, pour avoir manifesté publiquement ma solidarité avec cet enseignant victime d’un islamiste. Je ne suis pas près d’oublier non plus ni les silences, ni les abandons, ni le chœur de ceux et celles (ah ! la sacro-sainte « sororité »...) qui, dans mon dos, suggéraient que tout de même, ceux qui me calomniaient, me menaçaient et me livraient ce faisant à la vindicte n’avaient peut-être pas tout-à-fait tort, sur le fond, puisqu’après tout j’étais une laïque « radicale », probablement « islamophobe »…

Trois ans plus tard, et alors que la justice, jusqu’ici, m’a donné raison à chacun des trois jugements qu’elle a prononcés, personne, de mes anciens collègues ni de ma direction d’alors, n’est revenu vers moi. Personne.

Ces choses-là ne s’oublient pas.

 

Heureusement, j’ai pu bénéficier de cette porte de sortie, qui m’a fait arriver au MR. Après avoir été professeur de morale pendant vingt ans, maître-assistante en philosophie pendant dix ans, j’entamais ainsi la troisième phase de ma vie professionnelle, celle de conseillère dans un parti politique de droite !

Est-ce à dire que j’ai mis à mon tour une pince sur mon nez ? Transigé avec mes valeurs ? Renoncé à mon indépendance intellectuelle ?

 

La réponse est simple : non.

Je travaille en toute liberté sur des thématiques qui me sont chères, et qui, fort heureusement, rejoignent la vision du parti qui m’emploie.

Pourtant, je n’ai pas changé.

A dire vrai, je me vois comme l’aiguille d’un tourne-disque : l’aiguille ne bouge pas, mais le disque, en-dessous, tourne. Et me voilà, sans avoir bougé, posée à un endroit du disque situé à 180° de l’endroit où me situaient mes idées, il y a vingt ans. Ma famille idéologique, c’est toujours cet universalisme laïque que je défends depuis la fondation du Cercle républicain ou celle du RAPPEL.

 

Quand j’ai eu l’âge de pouvoir voter, j’ai posé mon choix sur ECOLO. J’étais séduite par ce projet rafraîchissant : faire de la politique autrement, penser global et agir local, éviter comme la peste la professionnalisation de la politique, et bien sûr, défendre l’environnement. Mes idées républicaines et laïques n’ont pas eu l’heur de plaire, cependant. La démocratie interne, tant vantée, a montré rapidement ses limites, et je suis partie. Mais je suis restée « écologiste » dans son sens premier : cycliste au quotidien, attachée à  la cause animale, végétarienne, soucieuse de préserver l’environnement.

 

Je continuais par ailleurs à me considérer comme « de gauche ».

La gauche, pour moi, c’était synonyme de progrès. La droite, de conservatisme. J’étais favorable à l’IVG et à l’euthanasie. Je ne voyais aucun problème à ce que des hommes et des femmes vivent au grand jour leur homosexualité et fondent une famille. Je refusais de considérer les gens différemment selon leur couleur de peau ou leur origine. Je pensais que les êtres humains étaient fondamentalement égaux, et qu’il fallait autant que possible leur permettre de bénéficier des mêmes chances d’émancipation. Je haïssais le racisme, le sexisme, l’homophobie, les discours identitaires d’où qu’ils viennent. Je me méfiais des religions, de leur dogmatisme, de leur essentialisme et de leur eschatologie. Je vibrais à la lecture des penseurs de la Renaissance et des Lumières qui ont fait advenir et rayonner la pensée humaniste.

 

Je relis le paragraphe qui précède, et je n’en retirerais rien aujourd’hui.

Alors ? De gauche ? De droite ?

Est-ce important, au fond ?

« Oui, mais le socio-économique ? »

Nous y voilà.

Je répondrai à cela sans fausse honte que je n’en sais fichtre rien. Ce n’est pas de la lâcheté : simplement, je vois les vertus et les défauts des deux « modèles » et je pense qu’ils ont chacun leur intérêt et leurs limites. J’estime essentielle la solidarité avec les plus démunis, mais je crois aussi aux vertus du mérite individuel.

Et surtout, comme ce n’est pas ma spécialité, je laisse à d’autres le soin de développer une politique socio-économique qui évite autant que possible les écueils des deux systèmes.

 

Moi, je dois ma reconversion professionnelle à une campagne haineuse orchestrée contre moi par des individus qui haïssaient la laïcité, et que d’autres ont, par lâcheté, opportunisme, inconscience ou que sais-je ? laissés faire. Ce jour-là, j’ai vu et compris, douloureusement, que j’étais le témoin et la victime d’un phénomène ô combien inquiétant, qui conduit à considérer comme radicaux et donc peu fréquentables des enseignants, des intellectuels, des chercheurs, etc. qui défendent de manière démocratique, avec pour seule arme leur clavier, des idées profondément émancipatrices et humanistes, et a contrario à donner des brevets de fréquentabilité à de véritables infréquentables, qui menacent, calomnient, agressent, égorgent ceux qui prétendent se mettre en travers de leur chemin.

 

A mes yeux, depuis lors et plus que jamais, il est question de libertés individuelles, dont aucun cléricalisme n’a jamais été l’allié naturel, que l’islamisme pilonne sans relâche et que seule la laïcité pourra préserver.

Il est question d’égalité, de cette égalité universaliste dont les discours identitaires constituent la négation, et auxquels ce wokisme-qui-n’existe-pas vient apporter jour après jour son imbécile soutien.

Il est question de lucidité enfin, car ce en quoi je crois, ce pour quoi je me bats, aujourd’hui, n’est pas seulement jugé secondaire, mais carrément foulé aux pieds, méthodiquement détruit - ou faut-il dire « déconstruit » ? – par la quasi-totalité de la gauche, et je suis convaincue que les lendemains que ceux-là nous préparent ne chanteront pas.

Bref, de gauche ou de droite, je m’en fous : je suis moi.

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