« Fasciste ! », « Transphobe ! » : comment disqualifier un positionnement légitime en deux insultes

Publié le par Nadia Geerts

Acte un 

Le dimanche 7 avril, alors que j’aborde une jeune artiste détransitionneuse présente sur la Foire pour y dédicacer son roman graphique, le jeune homme qui tient le stand me chasse par ces mots : « On ne parle pas aux fachos ! ». Comme j’insiste pour savoir ce qui lui permet de me traiter de fasciste, il me dit avoir entendu la conférence de la veille, lors de laquelle auraient été dites des choses « très violentes ». Ce qui est d’ailleurs tout-à-fait exact, sauf que la violence venait à mon sens plutôt du fond de la salle, où avaient pris place quelques perturbateurs bien décidés à qualifier les intervenants d’une série de noms d’oiseaux.  Heureusement, il existe un audio de cette rencontre, ce qui permettra à chacun d’évaluer d’où venait la violence.

Le lendemain, la chronique que je publie chaque semaine pour Marianne paraît, consacrée à ces incidents. Et j’écris à la maison d’édition, L’employé du Moi, pour leur faire part de ce qui s’est passé sur son stand et de tout le mal que je pense d’une maison d’édition qui traite ses potentiels clients de fascistes.

J’écris également à la jeune autrice pour lui expliquer qui je suis et pourquoi je souhaitais lui parler. À ce jour, elle ne m’a pas répondu - je reviendrai là-dessus plus loin.

 

 

Plus tard dans la journée, je découvre que plusieurs comptes sur X (ancien Twitter) m’accusent d’avoir « agressé une écrivaine trans », de m’être « rendue sur un stand où un.e auteur.rice trans se trouvait, pour la troller, avant de repartir après l’arrivée de la sécu, tout en faisant des gestes indélicats »… et je suis même comparée aux femmes nazies du 3è Reich ! Pendant que ces accusations de transphobie se répandent, la maison d’édition m’a répondu, admettant que « La formule de notre collaborateur était mal choisie, il a été pris au dépourvu. Renseignement pris, il a tout de suite corrigé et précisé son propos en vous indiquant qu’il lui semblait que c’était vos idées qui faisaient le terreau du fascisme. ».

Accusation à peine moins grave et tout aussi peu fondée, à laquelle je réponds en insistant notamment sur le fait que

« Que je sache, une Foire du Livre et une séance de dédicaces sont précisément des occasions pour les auteurs de rencontrer leurs (potentiels) lecteurs, et pas pour les éditeurs de leur interdire d’en rencontrer certains selon d’obscurs critères, qui plus est extrêmement blessants.

Votre collaborateur a peut-être « corrigé » ses propos (parlant de propos d’une extrême violence que j’aurais tenus la veille lors d’une conférence à la Foire du Livre, et dont j’attends toujours le moindre exemple) mais il n’en a pas moins maintenu son injonction de me faire quitter le stand. Ce n’est pas acceptable. Et depuis, je suis publiquement traitée de « transphobe » par des gens qui prétendent que j'ai harcelé cette autrice, que la sécurité a été appelée, que je suis partie en faisant des gestes grossiers, etc. Pouvez-vous dès lors demander à votre collaborateur de rétablir la réalité des faits, afin que je puisse publiquement mettre fin à ces accusations ? »

Ma demande est somme toute assez simple : il s’agit seulement de rétablir les faits, tels qu’ils se sont produits à son stand, ce dimanche 7 avril.

Mais loin d’accéder à ma demande, mon interlocuteur (toujours anonyme, soit dit en passant) prétend que, bien que le « ton » du collaborateur n’ait pas été adapté (je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un « ton », mais d’une véritable insulte associée à un ordre de quitter le stand), le collaborateur « était dans son rôle ». Il ose par ailleurs écrire que « personne d’autre n’en a été témoin, ce qui ne vous a pas porté préjudice. » avant de me renvoyer la responsabilité des attaques odieuses que je subis, sous prétexte qu’après tout, c’est moi qui ai choisi de rendre cet échange public :

« Concernant votre demande, nous ne comprenons pas à quoi cela se rapporte et donc en quoi nous devrions y répondre.

La seule interaction que nous avons eue avec vous durant la foire a été lorsque vous êtes venu (sic) sur notre stand. Cette interaction n'a pas eu de témoin et nous n'avons pas communiqué dessus.

Si de votre côté, vous avez choisi de communiquer publiquement et largement autour de ce moment — à des fins de publicité personnelle et de promotion de votre livre sans doute — et que certaines personnes en retour en font une interprétation erronée ou extrapolent ce qui s'est passé, ce n'est pas à nous de le corriger. »

À ce stade de nos échanges, il me paraît important de faire observer plusieurs choses :

  1. La banalisation du recours à l’insulte : à en croire cet éditeur, traiter quelqu’un de « facho » n’est pas grave, d’autant qu’il n’y a pas eu de témoin.
  2. Le fait qu’il y ait bien eu un témoin, en l’occurrence l’autrice avec laquelle je souhaitais entrer en contact, ne semble pas émouvoir outre mesure cet éditeur. Or, le préjudice pour moi est évidemment bien présent, puisque j’avais des raisons professionnelles de souhaiter la rencontrer. Dès lors que le collaborateur de cet éditeur me désigne à elle  comme « facho », il va de soi qu’il entrave considérablement mes possibilités de communication « en confiance » avec elle[1].
  3. Le fait que j’aie ou non communiqué publiquement ensuite sur cet incident ne change rien à ce préjudice précis, que lui seul est en mesure de réparer. S'il ne le fait pas, prétendant que ce n'est pas à lui de le faire, qui le fera ?
  4. Dès lors que des accusations mensongères se répandent à mon encontre, et que le collaborateur est le seul à pouvoir rétablir la véracité des faits tels qu’ils se sont produits, refuser de le faire est un manquement grave à l’éthique. Peu importe que ce soit moi qui aie rendu l’insulte publique : l’éditeur reconnaît que « la formule était mal choisie » (c’est bien le moins !), mais balaie d’un revers de main le fait que j’aie pu en subir un préjudice à la fois personnel (être traitée de facho est infiniment plus violent que le moindre des propos prétendument « violents » que j’aurais tenus la veille) et professionnel (mes contacts avec cette autrice étant compromis par l’attitude excluante du collaborateur).
  5. Il est particulièrement peu élégant de suggérer que ma communication publique puisse viser à ma publicité personnelle et à la promotion de mon livre. Il s’agit, ni plus ni moins, de détourner l’attention de l’incident et de ses responsables. Car on peut tourner les choses comme on voudra : le point de départ de toute l’affaire, c’est qu’un collaborateur d’une maison d’édition insulte quelqu’un sans motif valable.

 

Acte 2

 

Il est temps de se pencher à présent sur l’origine de ces insultes. Qu’est-ce qui, en d’autres termes, permet à des individus de m’accuser de fascisme et de transphobie ?

Commençons par l’hypothèse la plus simple : ma supposée « transphobie » trouve vraisemblablement son origine dans un tweet du 29 mars dernier où, réagissant à l’annonce par Etopia de l’organisation d’un événement réservé aux hommes visant à les sensibiliser au féminisme, j’ironisais « Bonjour @etopia_be. Je m’identifie comme homme et le sujet m’intéresse énormément, puis-je participer à cette activité ? »

Mes positions sur les rencontres en non-mixité sont connues : j’estime qu’il faut de très bonnes raisons pour interdire l’accès d’une quelconque catégorie de personnes à un quelconque événement. L’argument habituel de libération de la parole de minorités généralement invisibilisées par les dominants, qui plus est, ne tient pas ici, puisque ce sont les femmes qui sont exclues. Enfin, l’auto-identification me semble montrer ses limites dès lors qu’il ne permet aucune objectivation, et rend donc possibles tous les abus.

En d’autres termes, ce qui fait de moi une « transphobe », c’est le fait de refuser qu’une catégorie de personnes soit exclues d’un événement, tandis que l’exclusion des femmes dudit événement est présentée comme progressiste ! Orwell n’aurait pas fait mieux.

Mais il se peut également que je doive l’accusation de transphobie aux critiques que j’ose formuler envers la prise en charge hormonale et chirurgicale des mineurs souffrant de dysphorie de genre. Or, les pays jusqu’ici les plus en pointe dans la prise en charge médicale des mineurs dysphoriques font à présent marche arrière et recommandent une approche autant que possible psychothérapeutique, c’est-à-dire non invasive.

C’est très exactement dans ce cadre que je me suis intéressée ces derniers mois aux témoignages qui commencent à émerger, en provenance de ceux qu’on appelle des « détransitionneurs » : des jeunes, souvent nées de sexe féminin, qui regrettent d’avoir recouru précipitamment, encouragés en cela par des cliniques du genre, à des traitements hormonaux, voire chirurgicaux, aux effets partiellement irréversibles. Et Nele Jongeling, cofondatrice de Dé-Trans, est précisément l’une de ces détransitionneuses, et a consacré à la question son dernier roman graphique, intitulé Emil.ia, qu’elle dédicaçait ce jour-là à la Foire du Livre.

En d’autres termes, loin d’aller « agresser une écrivaine trans », je souhaitais échanger quelques mots avec une jeune auteur elle-même critique de l’approche médicale de la dysphorie de genre, comme elle en témoignait dans une vidéo de présentation de son livre : « Si un professionnel de santé m'avait dit qu'il y avait d'autres solutions et que nous avions les preuves qu'il y a des personnes qui souffrent de dysphorie de genre et qui ont réussi à s'en sortir sans effectuer de transition, alors je pense que j'aurais été beaucoup plus ouverte à envisager d'autres alternatives qui auraient eu des effets moins irréversibles sur mon corps ».

Notre rencontre aurait donc dû, en toute logique, se passer très sereinement si un « collaborateur » n’avait pas estimé devoir s’interposer en me cataloguant « facho », pour la seule raison que j’aurais fait un jour une blague « transphobe » (?), ou parce que mon livre « Woke » traite notamment des ravages du transactivisme…
En d’autres termes, ce qui m’a été fort brutalement signifié ce jour-là, c’est en réalité qu’on ne peut émettre de critique sur l’approche médicale de la dysphorie de genre sans être transphobe. Raisonnement absurde, puisqu’il revient à considérer que les détransitionneurs sont eux-mêmes transphobes, après avoir été trans !

Et en tout état de cause, comme je l’ai écrit à L’employé du Moi,

« si vous considérez que toute attitude visant à recommander une approche préférentiellement non-invalidante du traitement de la dysphorie de genre des mineurs, donc psychothérapeutique plutôt qu’hormonale et chirurgicale, est suspecte de transphobie et de fascisme, vous contribuez à isoler dramatiquement Nele Jongeling, ce qui est exactement le contraire de ce qu’elle souhaite. »

Et vu la manière dont les politiques évoluent tant au Danemark qu’en Finlande, en Angleterre, en France ou en Espagne ces dernières années, ça va commencer à faire un paquet de fachos transphobes à faire taire !

 


[1] J’ai également réalisé une petite vidéo pour dénoncer cette manie de certains de s’autoriser à dire aux autres ce qu’ils doivent penser. 

 

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