Ne dites plus « Peterbos » mais « Mehdi Bouda »

Publié le par Nadia Geerts

Ce texte a été initialement publié sur Marianne.net le 4 mars 2024 sous le titre "Mort de Mehdi Bouda à 17 ans : derrière la tragédie, chronique d'un emballement médiatique".

Le 20 août 2019, peu avant minuit, un jeune garçon traverse en courant la rue Cantersteen, dans le centre de Bruxelles. Sur le passage pour piétons, bien que le feu soit rouge, il se faufile entre une camionnette et un camion de Bruxelles-propreté, tous deux garés en double file. Et là, c’est le drame : il est heurté de plein fouet par un véhicule de police roulant à  vive allure, appelé pour une autre mission. La vitesse du véhicule ne lui laisse aucune chance : le choc est mortel.

Pourquoi ce jeune homme courait-il ? Là, les versions divergent : selon la conclusion de l’enquête menée par le juge d’instruction, tout commence à quelques encâblures de là, au Mont des Arts, où a lieu un contrôle policier dans le cadre d’une affaire de stupéfiants. Le jeune homme prend ses jambes à son cou, poursuivi par des policiers. Selon la famille, le jeune homme répondait à l’appel de sa maman lui demandant de rentrer par le dernier métro.

Mais au fond, peu importe : un jeune homme de 17 ans est mort. Et la famille endeuillée cherche à comprendre ce qui s’est passé exactement ce soir-là. Quoi de plus compréhensible ?

En octobre 2020, le juge d’instruction concluait cependant à l’absence de tout indice d’infraction pénale dans cette terrible affaire. Une conclusion qui aurait dû déboucher sur un non-lieu, si la famille n’avait pas demandé des devoirs complémentaires, ce qui fut fait. Et on attend toujours la décision de la Chambre du conseil, qui statuera in fine, à la fin de ce mois, sur les charges existantes ou non, et donc sur le renvoi éventuel des policiers à l’origine de l’accident devant un tribunal.

 

En attendant, un terrain de basket du centre-ville porte déjà le nom du jeune homme, accompagné d’une fresque représentant son visage. Et dès dimanche prochain, le 10 mars, un arrêt de bus portera son nom, grâce à l’action d’un collectif qui bataille pour que ce drame ne tombe pas dans l’oubli. L’arrêt « Peterbos » à Anderlecht, deviendra donc l’arrêt « Mehdi Bouda », comme l’a indiqué la ministre Elke Van den Brandt (Groen).

 

Car oui, le jeune homme s’appelait Mehdi. Et manifestement, ce n’est pas un détail pour tout le monde. Sur les réseaux sociaux, certains sont prompts à faire de lui un dealer fuyant la police, une petite frappe que l’on s’apprête ainsi à transformer en héros en dépit de tout bon sens.

D’autres en revanche voient dans le jeune Mehdi un George Floyd bruxellois, victime du même racisme systémique. Le frère de Mehdi, qui prétend que « on essaie de faire passer ça pour accident », estime même que

« Le lien est indéniable. Ici, à Bruxelles, mon frère n’est pas mort du genou d’un policier mais d’une voiture de police. A chaque fois, on a reproché à Mehdi, comme à Adil, de fuir un contrôle. Mais on parle d’infractions. Pour une infraction, la police commet des crimes ! Et des crimes qui ne sont pas punis. On voit aussi qu’aux Etats-Unis, on reproche une série de choses à George Floyd. Les images de sa mort ont réveillé les gens. On pensait que l’éveil aurait lieu ici, en Belgique aussi. Mais ça n’a pas l’air d’être le cas. »

 

Or, ce sont là des accusations graves que rien n’étaye jusqu’ici. Et si l’on peut comprendre qu’une famille éplorée se raccroche à toutes les hypothèses pour tenter d’apprivoiser l’insoutenable qu’est la perte d’un enfant, on comprend moins l’empressement mis par les autorités publiques à rebaptiser un arrêt de bus en mémoire de la victime alors que la procédure judiciaire n’est pas terminée. Pourquoi ne pas avoir attendu la décision de la Chambre du conseil, et que les policiers concernés aient été, le cas échéant, jugés ? Quelle urgence y avait-il à poser un acte aussi symboliquement fort, qui contribuera inévitablement à cultiver l’idée que Mehdi fut l’innocente victime d’une énième violence policière raciste, alors que cette idée est déjà fortement ancrée dans les esprits ?

 

Il faut dès lors espérer que, à l’heure où d’aucuns en appellent fort justement à une décolonisation de l’espace public via l’ajout de textes explicatifs, l’arrêt « Mehdi Bouda » sera dès que possible nanti d’un panneau retraçant l’histoire du jeune Mehdi et énonçant clairement ce à quoi la procédure judiciaire aura conclu, quelle que soit cette conclusion.

 

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