Le sens du Carnaval

Publié le par Nadia Geerts

J’ai publié ailleurs (1) ce que je pense des représentations antisémites qui ont circulé lors du carnaval d’Alost. Je propose ici une réflexion plus générale sur l’esprit du carnaval.

 

On entend beaucoup dire que certaines représentations carnavalesques seraient condamnables parce que contraires à l’esprit du carnaval, lequel serait de se moquer des puissants. Et en effet, il fut une époque où le carnaval était la seule occasion que l’on avait d’inverser l’ordre social en se gaussant du roi ou de l’évêque, alors qu’à toute autre occasion on aurait été mis aux fers pour moins que ça.

Mais cela signifie-t-il pour autant que l’on ne puisse légitimement se moquer aujourd’hui que des puissants ?

Et si le carnaval est surtout, traditionnellement, l’occasion de briser des tabous, de rire de ce dont on ne peut habituellement pas rire ? Comme une soupape qu’on soulève une fois l’an pour lâcher la pression, avant de remettre le couvercle pour que tout rendre dans l’ordre, jusqu’à l’année suivante.

 

Mais quel est cet « inrisible » aujourd’hui ?
Ce dont on ne peut pas rire, hier, c’était en effet le pape, le seigneur ou le roi. Mais aujourd’hui ? Les seigneurs sont passés de mode, et on se moque du pape et du roi à longueur de temps, comme de nos hommes politiques d’ailleurs. Et tant mieux.

Aujourd’hui, par contre, il est de très mauvais goût de se moquer des minorités, des discriminés, des « racisés », en un mot des « faibles ». Trop facile, disent certains, de taper sur celui qui est à terre. Peu glorieux, franchement lamentable.

C’est une façon de voir les choses. Mais ce n’est pas la mienne. À nouveau, tout est une question de degré, donc de lecture, donc d’interprétation, donc d’intention. Si je me déguise en Chinoise parce que je trouve que vraiment, les Chinois sont ridicules avec leurs baguettes, leur bol de riz, leurs yeux bridés et leur kimono, mon intention est clairement raciste. Par contre, si je me pare du même déguisement parce que je trouve franchement pénible qu’on ne puisse se déguiser en Chinois sous prétexte que ce serait immédiatement taxé de raciste, je ne me moque plus des Chinois, mais des censeurs. Mon déguisement devient un bras d’honneur à ceux qui prétendent régenter ma vie à coup de jugements moraux aussi définitifs que dénués d’esprit.

Alors, on me demandera sans doute quel est l’intérêt de se déguiser en Chinois.

Évidemment, la question est totalement pertinente pour ceux qui détestent se déguiser, et qui, forcément, ne doivent pas apprécier le carnaval.

Mais si on aime se déguiser, le but est alors précisément de se transformer pour quelques heures en quelqu’un d’autre, un personnage éloigné de nous à qui on va jouer à rassembler, un peu comme on fait au théâtre. Et pourquoi serait-ce nécessairement offensant, sous prétexte que c’est réducteur ? Tout l’art des caricaturistes, des dessinateurs de presse, mais aussi des mimes, des comédiens, des imitateurs, n’est-il pas précisément de « croquer » un personnage en quelques gestes, quelques traits, qui forcément, échouent à saisir toute la complexité du personnage, mais suffisent à le rendre reconnaissable ? 

Le carnaval, sous cet angle, ne peut-il être vu comme une gigantesque comédie humaine, où l’on rit de tout ce qui, habituellement, est considéré comme intouchable, non pas pour se moquer de l’intouchable, mais pour se gausser de ceux qui prétendent nous dire ce dont nous sommes en droit de rire ? 

(1) http://nadiageerts.over-blog.com/2020/02/carnaval-d-alost-le-pas-de-trop.html

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