Tout est politique. (sauf le voile)

Publié le par Nadia Geerts

Le 11 mars dernier, le tribunal révolutionnaire de Téhéran s’est prononcé sur la peine infligée à l’avocate Nasrin Sotoudeh. Elle qui est déjà en prison depuis 9 mois est condamnée à une série de peines qui, additionnées, correspondent à 38 ans de prison. Le plus lourd chef d’incitation est celui d’ « incitation à la débauche »  qui lui vaut 10 ans de prison et 148 coups de fouet. Son crime : avoir défendu de jeunes femme iraniennes qui ont enlevé publiquement leur voile depuis le début de 2018 pour dénoncer l’obligation du port du voile.

 

Pendant ce temps, l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad, première sportive américaine voilée à participer aux Jeux Olympiques en 2016, interviewée récemment suite à l’affaire Décathlon, déclare que « Essayer de dicter aux femmes ce qu'elles devraient porter ou ne pas porter est un problème. Nous, les femmes, n'avons pas besoin que les hommes nous disent ce que nous devons porter ».

 

Pendant ce temps aussi, à Bruxelles, au Parlement Jeunesse, une jeune « députée » voilée fait une proposition – selon ses propres dires « controversée » - afin de lutter contre les violences faites aux femmes : séparer les hommes et les femmes dans les transports en commun !

 

Pendant ce temps encore, en Europe, des femmes présentent le voile comme un « libre choix », refusant d’y voir la moindre dimension politique – soutenues en cela par nombre de féministes et de défenseurs des droits humains. Et après Décathlon, c’est Etam qui est aujourd’hui sur la sellette, accusée d’avoir « discriminé » une étudiante voilée qui y postulait à un emploi.

 

Je ne reviendrai pas ici en détails sur chacune de ces situations. Je reste en effet convaincue que la question ne se résume pas à interdire/ne pas interdire. Tout dépend en effet des lieux, et surtout des fonctions dont il est question. Aussi ne saurait-on traiter de la même manière le voile de la joggeuse et celui de la fonctionnaire. 

 

En revanche, une question me turlupine : par quel procédé est-on passé du « Tout est politique » de mai 68 au « Circulez, y a rien à voir, c’est juste un choix individuel » qui semble prévaloir aujourd’hui ?

Faut-il y voir une « dépolitisation » de l’époque actuelle, par rapport à un temps où l’on voyait du politique partout ?

 

Rien n’est moins sûr.

En effet, faisons un détour par l’écologie, thématique ô combien d'actualité. La préoccupation pour le climat – l’urgence climatique – se traduit précisément, me semble-t-il, par la conscience aigüe que « Tout est politique » : dès lors, il s’agit d’acheter autrement, de manger autrement, de se déplacer autrement, de jeter autrement. 

Bref, le moindre de nos actes quotidiens est aujourd’hui perçu comme ayant des répercussions politiques que nous serions naïfs, voire coupables d’ignorer.

 

Même constat du côté de nombre de féministes : à les entendre, le combat doit se mener partout, et on aurait grand tort de penser que l’égalité hommes/femmes se réduit à la lutte pour l’égalité des droits. Je m’en tiendrai à cet égard à deux exemples :

Il faudrait ainsi, au nom du féminisme, promouvoir l’écriture inclusive, pour lutter contre l’invisibilisation des femmes par une grammaire jugée patriarcale. Il faudrait en outre lutter contre la « précarité menstruelle », les règles et leur coût étant perçues comme une scandaleuse source de discrimination entre les hommes et les femmes.

Cela semble donc une évidence pour beaucoup : la grammaire est politique, de même que les menstruations sont politiques. 

Mais le voile, non. Le voile, c’est un choix personnel, et rien que ça.

 

Or, si l’exemple de l’Iran nous apprend quelque chose, c’est bien que voiler les femmes EST un projet politique. Et il est trop facile, vraiment, de rétorquer que « c’est loin d’ici » et qu’ici c’est tout différent, quand on voit le nombre de productions, sur internet et ailleurs, consacrées à la promotion du voile comme accessoire indispensable de l’islamité féminine.

Car oui, décidément, le voile est politique. Parce que la question du corps des femmes est politique. Parce que la question de la place de la religion dans la cité l’est tout autant.

 

Dès lors, l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad a entièrement raison de dire que « Nous, les femmes, n'avons pas besoin que les hommes nous disent ce que nous devons porter ».

 

Mais elle oublie un « détail » qui a son importance : c’est que ceux qui disent aux femmes ce qu’elles doivent porter, ce sont les mollah, les imams, les « savants de l’islam » et autres prédicateurs qui craignent par-dessus tout la liberté des femmes comme Nasrin Sotoudeh et toutes ces courageuses anonymes qui leur font un roboratif pied de nez en brandissant leurs voiles au bout d’un bâton ou en y mettant le feu.

 

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