Là où le bât blesse

Publié le par Nadia Geerts

C’est peu dire que la conférence que j’ai présentée ce lundi 27, à l’invitation du PAC de Watermael-Boitsfort, fut animée… A plusieurs reprises, elle s’apparenta plus à une foire d’empoigne, où l’agressivité, les procès d’intention, les accusations insultantes et la mauvaise foi l’emportaient sur le débat d’idées.

 

 

 

 

 J’ai écrit « mauvaise foi ». Et en effet, je ne peux totalement me défaire de l’idée que certains de mes contradicteurs ce soir-là étaient ni plus ni moins que des agitateurs. Mais soit. Faisons l’hypothèse, ne serait-ce qu’un instant, qu’ils ne le soient pas. Que ce soit en toute bonne foi, donc, qu’ils m’aient traitée de raciste, d’intolérante, de dogmatique laïque et j’en passe. La question, alors, est de comprendre où mon discours coince, étant entendu que je réfute vigoureusement ces accusations, qui me paraissent générées par un certain nombre de confusions et d’amalgames que je vais essayer d’énumérer ici.

 

 

La confusion entre la laïcité politique et la laïcité philosophique sous sa forme la plus dure, celle de l’athéisme. La première notion désigne l’exigence de séparation stricte des Eglises et de l’Etat. En d’autres termes : le refus de l’immixtion du religieux dans la sphère politique. Nombre de croyants sont aujourd’hui laïques en ce sens, que ce soit par affinité avec le principe qui consiste à considérer les convictions religieuses comme une affaire privée, de l’ordre de l’intime, ou par réalisme, constatant que leur religion n’étant pas majoritaire, tout autre système que la laïcité reviendrait à se voir imposer des dogmes et des pratiques qui ne sont pas les leurs. Si l’on veut tenter de représenter la laïcité politique, il faudrait la dessiner au-dessus des cultes, puisqu’elle constitue le cadre dans lequel les rapports entre les cultes et l’Etat vont s’organiser.
La seconde notion, celle de laïcité philosophique, désigne quant à elle un mouvement de pensée qui ne reconnaît aucune transcendance ou qui tente de conduire sa vie en-dehors de toute référence de ce type. Athées, agnostiques, humanistes, libre penseurs, rationalistes, telles sont les composantes de cette famille philosophique. Cette laïcité-là devrait être représentée, quant à elle, comme à côté des cultes, puisqu’elle est un mouvement de pensée, une manière parmi d’autres de concevoir le monde et sa vie.
Il va de soi que lorsque je préconise davantage de laïcité en Belgique, il s’agit de laïcité politique : il serait absurde en effet qu’un Etat légifère – cela s’est vu et continue pourtant à se voir aujourd’hui…- sur ce que la population qui l’habite doit croire ou ne pas croire. Un Etat ne peut donc être, à moins de totalitarisme, philosophiquement laïque, mais se doit, pour le plus grand bien de toutes les communautés religieuses et des « mécréants », d’être politiquement laïque.
A la lumière de cette brève réflexion, il me paraît urgent de sortir de la confusion actuelle, confusion hélas entretenue par la laïcité organisée en Belgique lorsqu’elle prétend à la fois une égalité de traitement avec les « autres » cultes et davantage de séparation des Eglises et de l’Etat. Attitude assez schizophrène si l’on veut bien considérer qu’on ne peut être « au-dessus » et « à côté ».
D’où la méprise, sans doute : comment un musulman – ou un membre d’une autre religion – pourrait-il ne pas être heurté s’il croit qu’il s’agit d’établir demain un Etat belge qui édicterait l’athéisme en doctrine d’Etat ? Je caricature, bien entendu, laïcité philosophique ne signifiant pas d’emblée athéisme, mais que de notions à élucider d’urgence, à l’école évidemment, dans le cadre d’indispensables cours d’éducation civique et philosophique…

Le refus ou l’ignorance de la territorialité, territorialité qui me paraît caractériser les sociétés sécularisées. Parmi les « ignorants », ceux qui confondent sans cesse « interdiction du voile » et « interdiction du voile à l’école et dans les fonctions de représentation de l’Etat ». Ceux-là ne voient pas, manifestement, que l’école n’est pas assimilable à un jardin public ou à un hall de gare, ils ignorent tout simplement la distinction entre lieux publics, espace public et sphère privée. Les « refusants » quant à eux, réfutent cette distinction, au motif qu’elle établit des frontières au-delà desquelles l’appartenance religieuse n’est plus valable, ou en tout cas n’a plus droit de cité en tant que telle. Ceux-là s’offusquent de ce que l’école accueille non pas des juifs, des musulmans, des catholiques, des athées, etc. mais des hommes et des femmes en devenir. Ceux-là ne voient pas pourquoi, au cours du débat, un intervenant disait qu’il refuserait d’être jugé dans un tribunal par une juge voilée. Ceux-là, si accrochés au symbole que constitue le voile, refusent que le représentant de l’Etat (de la justice en l’occurrence) soit contraint d’être symboliquement neutre. Si l’on considère cependant, soit dit en passant, qu’un symbole est essentiel, on ne peut dénier à d’autres le droit de penser de même, et de s’appuyer sur ce constat qu’un symbole dit quelque chose, qu’il n’est pas rien, pour le refuser en certains lieux censés être soustraits à l’influence du religieux.
Dans le même registre « territorial », j’ai été frappée de constater que pour certains intervenants, le chef d’établissement n’avait tout simplement pas à contrarier l’autorité parentale. Pourtant, les règles de l’école sont toujours, peu ou prou, différentes de celles qui prévalent à la maison. Symboliquement, l’élève franchissant les grilles de l’école sort de l’autorité de ses parents pour tomber sous celle du chef d’établissement. Délimitation symbolique essentielle, indispensable au processus de sécularisation qui plus est.
Serait-il exagéré de dire que l’évolution de nos sociétés a été rendue possible par le courage de ceux qui ont osé dire aux parents de milieux ruraux que leurs enfants iraient dorénavant à l’école, que ça leur plaise ou non, car le pouvoir des parents sur leurs enfants n’était pas illimité et ne pouvait aboutir à les priver d’instruction dans un monde qui en avait un urgent besoin ? et aussi par l’impertinence de ceux qui ont rappelé autant de fois que ce fut nécessaire à nos curés que leur pouvoir se limitait à leur église et à leurs ouailles, mais ne pouvait en rien prétendre s’exercer sur l’ensemble de la société civile ?

La confusion permanente entre le respect des personnes et celui des idées. Or, comment, si l’on exige le respect des idées, encore imaginer le moindre débat ? Comment défendre une opinion sans démonter le raisonnement de celui qui, en face de nous, défend l’opinion inverse ? Et comment, si l’on montre les apories de cette opinion, si on questionne sa légitimité, si on met en doute sa pertinence, si on dénonce ses coups de force et ses paradoxes, ne pas se voir accuser de manquer de respect à cette idée ? Soit dit en passant, le respect des personnes ne paraissait pas étouffer certains de ces chantres du respect des idées, mais soit.
Respecter la personne, qu’est-ce ? L’écouter d’abord, et autant que possible avec bienveillance, c’est-à-dire à tout le moins sans a priori. La laisser exprimer son point de vue sans l’interrompre intempestivement, ne pas recourir à l’insulte ou à l’attaque personnelle. Cela étant posé, cela implique le droit pour chacun d’exprimer son désaccord. D’ailleurs, que peut bien signifier le respect des idées ? Faut-il éprouver du respect pour le communisme, l’anarchisme, le féminisme, le taoïsme, le nazisme, le sionisme, le socialisme, le révisionnisme, le bouddhisme, le créationnisme ou l’écologie ? Autant d’idées, volontairement piochées dans des registres divers et pourvues de qualités diverses et (très !) inégales. Autant d’idées à passer au spectre de la raison critique, afin d’en étudier la pertinence et, pour certaines d’entre elles, de les déclarer infondées, absurdes, nuisibles ; pour d’autres, les déclarer améliorables, donc imparfaites. Avec tout l’irrespect que cela commande, non pas simplement dans les conclusions, mais déjà dans la méthode : pas de critique possible sans désacralisation. Serait-ce là que le bât blesse ?
 

  En guise de conclusion, je ne saurais trop vous conseiller d’aller écouter cette interview de Caroline Fourest au sujet de son livre « La tentation obscurantiste » : http://www.gabrielperi.fr/fourest/

 

 Dernière minute: Je venais de poster cet article que je recevais la prose de Rachid Zegzaoui. Rachid Zegzaoui n'est autre que l'un de ceux que j'ai soupçonnés d'être des "agitateurs" l'autre soir. L'homme était venu me présenter ses excuses pour son attitude durant la conférence qu'il avait largement contribué à saboter. Il m'avait alors assuré qu'il enjoindrait les jeunes filles à se plier à une loi qui interdirait le port du voile à l'école, mais qu'il refusait que l'arbitraire des chefs d'école fasse loi. Double jeu ? On en jugera en lisant son article plein de haine, relatant cette soirée mémorable http://rachid-z.skynetblogs.be/post/3919696/la-dignite-a-lepreuve-de-la-haine. Il se passe de commentaire.  

 

 

  

Publié dans Société

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