Homophobie : pour lutter contre l'obscurantisme, il faudra plus que repeindre des passages pour piétons

Publié le par Nadia Geerts

Cet article a été initialement publié sur le site de Marianne.fr le lundi 15 mai (https://www.marianne.net/homophobie-pour-lutter-contre-lobscurantisme-il-faudra-plus-que-repeindre-des-passages-pour-pietons).

À l’approche du 17 mai - Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie - et de la Pride du 20 mai, les actions de lutte contre l’homophobie se multiplient : certains repeignent les passages pour piétons aux couleurs de l’arc-en-ciel, d’autres privilégient les actions de sensibilisation dans les écoles. Mais aucune de ces actions ne fait l’unanimité.

Ainsi, à Bruxelles, un passage pour piétons du rond-point Montgomery a été repeint pendant la nuit, alors que le bourgmestre de la commune concernée, Benoît Cerexhe (Les Engagés), l’avait refusé. Cette action n’était pourtant pas le fait d’activistes quelconques, mais bien du service public régional de Bruxelles (Bruxelles Mobilité)  : car (bienvenue en Belgique !) il se trouve que le rond-point Montgomery est une voirie régionale, c’est-à-dire administrée par la région bruxelloise et non par la commune de Woluwe-Saint-Pierre. C’est donc la ministre Elke Van den Brandt (Groen, les écologistes flamands) qui en tant que ministre bruxelloise de la mobilité, des Travaux publics et de la Sécurité routière, a donné l’ordre de repeindre le passage pour piétons, suscitant le courroux de Benoît Cérexhe, pour qui il est « inacceptable que par le biais de la gestion des voiries régionales, on impose des choses qu’un bourgmestre a refusées. ». En effet, à l’appui de ce refus, le bourgmestre avait invoqué en février dernier le « devoir absolu de neutralité » de la commune.

Pendant ce temps à Genk, dans le Limbourg, plusieurs dizaines de collégiens ont perturbé jeudi dernier une action de sensibilisation à l’homophobie menée dans un collège technique par une association LGBTQIA+ locale, en crachant sur le drapeau LGBT, jetant des bouteilles et criant « Allah Akbar ».

Les images de ces agissements ont amplement circulé sur les réseaux sociaux. Par contre, la presse belge n’a que très peu parlé de l’événement, alors que la polémique bruxelloise a quant à elle été largement diffusée.

Quant aux autorités locales de Genk, elles se disent « déconcertées » : Anniek Nagels (CD&V), l’échevine de la Culture, affirme ainsi que « Genk est synonyme d’une société respectueuse, où chacun doit pouvoir être lui-même » et annonce son intention de porter plainte. Du côté de l’école aussi, on rappelle que ces comportements sont en contradiction avec « ce que représente l’école », et la directrice générale Christel Schepers de conclure « C’est pourquoi nous prendrons des mesures. Nous entamerons un dialogue avec les élèves dans les semaines à venir et nous aborderons la question en collaboration avec la ville ».

Sous leurs dehors très différents, ces deux actualités récentes nous rappellent en réalité deux choses.

La première, c’est que la lutte contre l’homophobie n’est pas une violation du principe de neutralité des pouvoirs publics, pas plus que ne le sont la lutte contre le racisme ou le sexisme : il s’agit, dans chacun des cas, de promouvoir non pas une orientation, une conviction ou un mode de vie particuliers, mais un modèle de société où tous les êtres humains sont libres et égaux en dignité et en droits, indépendamment de leur sexe, origine, couleur de peau, orientation sexuelle, etc. Et cela doit évidemment se faire aussi à l’école.

Ce qui m’amène à la seconde remarque : peindre des passages pour piétons ne mange pas de pain. Ça a le mérite absolument inestimable, pour qui veut éviter à tout prix de « stigmatiser », de ne cibler aucune « communauté ». Bref, c’est tout gentil tout mignon, ça dégouline de bons sentiments, mais est-ce efficace ? Franchement : croit-on vraiment que c’est en repeignant tous les passages cloutés de Genk aux couleurs de l’arc-en-ciel qu’on ferait admettre à ces jeunes perturbateurs musulmans que leur conviction religieuse n’est pas « la » Vérité, mais seulement leur opinion, qui n’a aucun droit à s’imposer aux autres, car nous sommes dans un État de droit, et non dans une théocratie ?

L’étude « Noir, Jaune, Blues » de Benoît Scheuer, en 2017, mettait déjà en évidence que 29% des musulmans belges estimaient que les lois de l’islam sont au-dessus des lois belges, et que 34% préféreraient vraiment un système politique inspiré par le Coran. Plus récemment, l’étude[1] réalisée pour la Fondation Jean Jaurès par Joël Kotek et Joël Tournemenne mettait en évidence l’indéniable « effet religion » pour toutes les questions relatives à l’homosexualité, les catholiques pratiquants et les musulmans (pratiquants ou non) réagissant sensiblement de la même inquiétante manière. Ainsi un quart d’entre eux refuserait d’avoir un professeur homosexuel, ce chiffre tombant à 5% (athées) et 7% (catholiques non pratiquants).

Pour lutter contre cet obscurantisme religieux, il ne suffira pas de repeindre des passages pour piétons, ni d’entamer des « dialogues » où l’on affirmera la main sur le cœur que « chacun doit pouvoir être lui-même ». Il faudra, et il y a urgence, enfin nommer les choses, et affirmer clairement que non, on n’a pas le droit, sous couvert de croyance religieuse, de mettre en cause un principe aussi fondamental que l’égale dignité de tous. Il faudra développer, en d’autres termes, une pédagogie de la laïcité.

 

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