Trois menaces sur la laïcité

Publié le par Nadia Geerts

Le 9 décembre dernier, j'étais invitée à Arles, à l'occasion de l'anniversaire de la loi française de séparation des Eglises et de l'Etat, adoptée en 1905. Le texte qui suit constitue la trame de mon intervention, mais aussi le fil conducteur de mon livre "Woke ! La tyrannie victimaire", qui paraîtra le 11 janvier prochain, préfacé par Pierre-André Taguieff, et qui est d'ores et déjà disponible sur commande ici.

Avant toute chose, qu’est-ce que la laïcité ?

Pour répondre à cette question, un bref passage par l’étymologie s’impose : laïque vient du grec « laos », qui signifie en grec « le peuple ». Comme le remarque Henri Pena-Ruiz, un État laïque est un État qui traite tous les citoyens comme d’abord et avant tout des membres du même peuple, quelles que soient leurs différences secondaires – dont l’éventuelle appartenance à un clergé. Il s’agit donc, à l’origine, de refuser que les membres du clergé puissent se prévaloir de privilèges quelconques : tous égaux aux yeux de l’État !

Mais la laïcité, c’est aussi une sorte d’agnosticisme d’Etat, qui amène ce dernier à ne pas se prononcer sur l’existence d’une quelconque puissance transcendante, ce qui entraine deux conséquences. La première est que les lois sont fondées sur la raison et la recherche de l’intérêt général, et non sur une quelconque conviction religieuse particulière. La seconde est que les convictions en question sont renvoyées dans la sphère privée, où elles sont absolument libres : l’État n’en privilégie ni n’en discrimine aucune, ce qui permet la liberté absolue de conscience.

Or, cette vision universaliste est en bute à une tendance lourde qui vient la menacer sous couvert de défense des minorités. Sous prétexte de l’échec relatif des politiques laïques et universalistes, qui n’ont malheureusement pas aboli toutes les discriminations, certains prétendent jeter le bébé avec l’eau du bain, venant ainsi menacer les trois piliers laïques que sont la raison, l’égalité et la liberté.

La raison est menacée par le poids du ressenti, qui vient de plus en plus s’imposer comme argument-massue, qu’il s’agisse de transidentité (est femme celui qui se sent femme), de discrimination religieuse (l’interdiction des signes convictionnels est discriminatoire puisque les femmes musulmanes en subissent davantage les conséquences que les hommes catholiques) ou de racisme (la société est structurellement raciste puisque je la ressens comme telle).

L’égalité est menacée par une logique de compensation perpétuelle d’inégalités (réelles ou imaginaires) assimilées à autant d’oppressions. On en vient ainsi, en Belgique, à réclamer des quotas de personnes afro-descendantes dans les administrations, ou à organiser des rencontres prétendument publiques d’où sont exclues certaines catégories de la population (rencontre réservées aux femme racisées par exemple).

La liberté, en particulier d’expression, est menacée par la cancel culture, qui veut faire taire toute voix discordante, au motif que certaines productions artistiques, certains cours universitaires, certaines œuvres du passé, etc. seraient offensantes pour telle ou telle minorité. On déboulonne, réécrit, interdit et désinvite ainsi à tour de bras. Mais derrière cette apparente recherche de moralisation se cache en réalité une entreprise de dénonciation de l’Occident, présenté comme coupable de tous les maux.

Or, si nos sociétés ne sont bien évidemment pas parfaites, nous devons continuer à tendre vers cet universalisme laïque. Car bien mieux que toute autre conception du monde, il permet l’émancipation de chacun et de chacune, conjuguant raison, égalité et liberté. Ce que nous préparent les mouvements intersectionnels et décoloniaux que l’on désigne souvent par le terme « woke », c’est en réalité le retour des assignations identitaires et de la fidélité au clan. C’est, in fine, la destruction du laos.

 

Arles, 9 décembre 2023

© Nadia Geerts

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