Lettre à mes amis propalestiniens

Publié le par Nadia Geerts

Chers amis pro-palestiniens,

Depuis un peu plus d’un mois, nous nous croisons régulièrement, mais nous évitons d’aborder le sujet qui fâche.

Nous savons très bien que nous ne sommes pas d’accord, alors à quoi bon parler de « ça » ?

Pourtant ce silence me pèse.

Alors, aujourd’hui, j’aimerais vous tendre la main, essayer de renouer avec vous un dialogue en tentant de distinguer ce qui, selon moi, peut faire l’objet d’un désaccord légitime, et ce qui, toujours selon moi bien sûr, devrait nous réunir, par-delà nos divergences.

Car ce dont je souffre aujourd’hui, c’est de ne même pas sentir cet accord minimum.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais vous parler d’un livre. Un livre écrit par une femme admirable, Fidaa, libanaise d’origine, vivant aujourd’hui en France.

Son livre, « Le choix laïque d’une intranquille », parle de bien autre chose que d’Israël et de Palestine. D’ailleurs, elle le reconnaît dès les premières pages : « chez nous, on disait Palestine ou Palestine occupée, Israël jamais ! ». Petite, Fidaa a grandi dans la conviction que sa mission était de se sacrifier pour la Palestine : car « fidaa » signifie « sacrifice ». Depuis son arrivée en France en 1989, elle allait à toutes les manifestations pro-palestiniennes. Jusqu’à cette manifestation de 2013 ou 2014. Elle le raconte :

« Une manifestation. Nous marchons nous marchons, divers slogans sont lancés, nous marchons. En arrivant près des Invalides, je réalise tout à coup que les slogans ont changé et je comprends que j’ai glissé sous les banderoles du collectif Cheik Yassine.

Ce collectif a été créé dix ans plus tôt, à la mort de Cheikh Ahmad Yassine, cofondateur du Hamas, le mouvement islamiste palestinien. Cheikh Ahmad Yassine a été tué par l’armée israélienne, le collectif se définit comme pro-palestinien et antisioniste. Mais d’année en année, il s’est radicalisé et a affiché des positions très tranchées Pro djihad.

Impossible pour moi de manifester aux côtés de ce collectif dont le fondateur est Abdelhakim Sefrioui, futur instigateur de la décapitation de Samuel Paty. Il revendique l’Islam comme projet politique, il milite en faveur du port du voile intégral pour les musulmanes.

Écœurée, bouleversée, je sors immédiatement de la manifestation. Impossible de trahir à ce point les revendications de Yasser Arafat et Georges Habache qui bien sûr, je le sais, n’étaient pas des saints eux non plus.

Que fais-je dans cette galère ? La fin justifie - t - elle les moyens ? La cause Palestinienne justifie-t-elle l’Islamisme?

OUI ? NON ? OUI ! NON !

NON ! NON ! CENT FOIS NON ! »

Fidaa et moi lors de son récent passage à Bruxelles

Fidaa n’est pas devenue pro-israélienne, rassurez-vous. Mais sa boussole intérieure l’a empêchée d’emprunter un chemin aux antipodes de ses valeurs humanistes et laïques.

C’est de ce chemin que je voudrais vous parler.

Car je vous reconnais volontiers, comme à Fidaa, le droit de ne pas être d’accord avec moi : un conflit militaire oppose rarement d’innocentes victimes à des bourreaux sanguinaires. Et c’est d’autant plus vrai lorsque le conflit en question dure depuis 75 ans : de toute évidence, de part et d’autre, il y a forcément dû y avoir des occasions manquées, des réactions excessives et de coupables exactions. Et dans une certaine mesure, il est donc assez compréhensible que chacun, après avoir soigneusement balancé entre les droits et intérêts légitimes de chacun des deux peuples en présence, se sente prioritairement du côté des Palestiniens ou prioritairement du côté des Israéliens. Cela ne me pose aucun problème.

Par contre, ce qui m’inquiète terriblement aujourd’hui, ce que j’aimerais vous exhorter à voir, c’est que derrière la cause palestinienne se profile, que dis-je ? grandit monstrueusement un projet hideux, pas seulement là-bas, mais ici-même.

En 2009 déjà, trois de mes amis d’alors (1) cosignaient une carte blanche dans Le Soir, intitulée « Le pouvoir aux « barbus » ? Non merci ! ». Manuel Abramowicz (auteur), Claude Demelenne (journaliste) et Sam Touzani (artiste) s’y inquiétaient des « Allahou Akhbar » et autres appels au djihad entendus lors de la manifestation de soutien à la Palestine du 11 janvier :

« Difficile, en effet, de trouver sa place dans cette manifestation, entre groupes brandissant le drapeau du Hamas, d’autres celui du Hezbollah, d’autres encore des portraits de son leader, Hassan Nasrallah, d’autres des pancartes assimilant étoile de David et croix gammée. De telles pancartes, nazifiant les Juifs dans leur ensemble, nous en avons vu des dizaines. »

Les auteurs, visionnaires, avertissaient : « La manifestation de ce 11 janvier marque un tournant dans l’histoire du combat démocratique pour la Palestine. »

Et en effet, le tournant est accompli.

Le 7 octobre, le Hamas a attaqué Israël sur son propre territoire. Les cibles ? Outre des bases militaires, des kibboutz, et les participants d’un festival de musique près de Réïm.

Les victimes - plus de 1200 morts - en sont dans leur immense majorité des civils. Et les terroristes du Hamas ont également recouru à de nombreux viols, sévices et supplices. Je cite Wikipédia : « des corps de tous âges et sexes sont retrouvés décapités, démembrés, étripés, et calcinés au point que des équipes d'archéologues sont mandées pour tenter d’identifier les restes humains ».

En outre, 240 civils et soldats israéliens ont été pris en otages dans la bande de Gaza, dont une trentaine d'enfants, dont on n’a depuis aucune nouvelle, à l’exception de deux corps retrouvés : celui d’une femme de 65 ans, Yehudit Weiss, et celui d’une soldate de 19 ans, Noa Marciano.

Le Hamas ne pouvait pas ignorer qu’Israël réagirait avec force à cette attaque, qui marque pour l’État hébreux un tournant historique : elle est non seulement pour lui la plus meurtrière de son histoire, mais aussi pour les Juifs depuis la Shoah.

Or, qu’a-t-on vu en Belgique ?

En Belgique, où nous avions été si nombreux à nous émouvoir de l’attaque terroriste du Bataclan, le 13 novembre 2015, ou de celle du 11 septembre 2001 ? Où nous nous sommes tant mobilisés pour obtenir la libération d’un otage, Olivier Vandecasteele ?

En Belgique, c’est à des manifestations de soutien à la Palestine que l’on assiste depuis 6 semaines !

Pourquoi, comment a-t-on pu si rapidement passer sur un fait majeur de l’histoire de l’antisémitisme mondial ? Car par cette attaque du 7 octobre, le Hamas ne fait rien d’autre que mettre son projet à exécution. Et ce projet est connu de tous : c’est la destruction d’Israël, l’objectif suprême du Hamas étant, selon sa déclaration de 2017, la libération totale de la Palestine, « terre islamique arabe » dont il convient de déloger « l’usurpateur sioniste ». La charte fondatrice du Hamas, publiée en 1988, est encore plus explicite quant à son profond antisémitisme.

Et cette remise en question du droit d’Israël à exister, aujourd’hui, est reprise de plus en plus souvent lors des manifestations propalestiniennes, qui revendiquent une Palestine libre, du fleuve à la mer. « Du fleuve à la mer », c’est une exigence limpide, qui ne se borne pas à réclamer le retrait d’Israël des territoires occupés, non : il s’agit de rayer Israël de la carte, ni plus ni moins.

Et encore… « Ni plus », je n’en suis pas certaine.

Je comprends tout-à-fait, chers amis propalestiniens, que vous condamniez la politique israélienne. Que vous appeliez de vos vœux le retrait des colonies israéliennes en Cisjordanie et la fin du régime de Netanyahou. Que vous compreniez, même, que le peuple palestinien ait confié son sort au Hamas, en désespoir de cause, après l’échec du Fatah. Que vous rappeliez les causes historiques qui ont mené à l’arrivée du Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza.

Nous ne serons sans doute pas d’accord sur le poids relatif des responsabilités des uns et des autres, mais je peux vivre avec ça.

Par contre, je ne peux supporter de vous voir défiler à côté d’individus qui réclament la destruction d’Israël. À côté d’islamistes qui admirent le Hamas ou le Hezbollah, haïssent les Juifs et nazifient Israël. Sans, à tout le moins, clamer votre désaccord profond avec ces gens-là. Dire clairement qu’ils sont infréquentables. Exprimer votre profond malaise à vous retrouver à leurs côtés pour manifester.

Je ne peux accepter de vous voir renvoyer dos-à-dos Israël et le Hamas, comme si chacun avait commis des crimes de même nature. Ce n’est pas vrai : les mots ont un sens. La boucherie à laquelle on a assisté le 7 octobre 2023 n’a aucun équivalent côté israélien. Et la meilleure preuve en est que les assaillants du Hamas ont filmé leurs actes, comme les islamistes de Daech filmaient et postaient hier leurs décapitations. Je crois pouvoir affirmer que c’est une première, dans l’histoire de la barbarie humaine. Jusqu’ici, les bourreaux cherchaient à effacer les traces de leurs crimes. Ici, ils en sont fiers.

Si donc il faut recourir à une comparaison avec le nazisme, c’est du côté du Hamas qu’il faut aller la chercher, et en aucun cas du côté d’Israël. Cela, ça m’est insupportable. Parce que c’est un déni de la réalité. Le projet politique du Hamas, qu’il met d’ailleurs en œuvre, ne réserve aucun droit ni aux homosexuels ni aux non-musulmans, et devrait faire bondir tout individu attaché à l’égalité des sexes. Dans sa guerre contre Israël, le Hamas se sert des civils comme boucliers humains, installant ses caches dans des crèches, des écoles ou des hôpitaux, contraignant ainsi Tsahal soit à renoncer à riposter, soit à faire de nombreuses victimes civiles qui pourront ensuite lui être reprochées. Et pour couronner le tout, le Hamas empêche les Palestiniens de fuir à l’annonce des bombardements israéliens. Tout ça, ce ne sont pas des élucubrations de ma part : ces faits sont avérés et aisément vérifiables.

Alors, chers amis propalestiniens, continuez à soutenir le droit du peuple palestinien à disposer enfin d’un état souverain. Continuez à dénoncer les agissements du gouvernement israélien ou de Tsahal lorsqu’ils sont contraires au droit international. Mais par pitié, soyez lucides et sans complaisance lorsque, dans votre camp, certains, beaucoup trop nombreux hélas, en viennent à approuver ou à minimiser la barbarie du Hamas, que rien ne peut excuser. Mettons-nous d’accord, si possible (et j’espère de tout cœur que ce l’est) sur ces quelques fondamentaux, en accord avec le droit international :

  • Le Hamas est une organisation terroriste qui contribue pour une part importante aux souffrances du peuple palestinien ;
  • Les otages qu’il détient depuis le 7 octobre doivent être libérés ;
  • Israël a le droit d’exister. Reste à définir selon quelles frontières, mais le principe de son existence ne peut être mis en cause ;
  • Israël doit mettre fin à la colonisation en Cisjordanie ;
  • D’où nous sommes, ici, en Europe, nous devons éviter absolument que ce conflit ne rejaillisse sur nos concitoyens juifs, qui subissent (selon Unia) dix fois plus d’actes antisémitisme depuis le 7 octobre qu’en temps « normal ». C’est notre responsabilité de démocrates.

 

 

(1) Claude et Sam ont depuis conservé leur boussole intacte, contrairement au troisième larron.  

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