Le pouvoir du déni

Publié le par Nadia Geerts

Plus un jour ne se passe en Belgique sans une nouvelle polémique autour du voile islamique. Après la consternante affaire de la STIB, condamnée par le tribunal du travail pour son règlement de travail interdisant les signes convictionnels, jugé doublement discriminant, voilà qu’ECOLO désignait une commissaire voilée, Ihsane Haouach, comme commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hom

mes. Et dans la foulée, le député CDH fédéral Georges Dallemagne se voit accusé par plusieurs élus de son propre parti de renforcer « un climat de suspicion islamophobe » pour avoir osé déclarer que « le port du voile, c’est aussi une revendication politique, radicale, qui ne veut pas de notre modèle de société, ne veut pas de nos valeurs, et les combat. ».

Georges Dallemagne est pourtant tout sauf un excité. Il faut lire sa contribution à l’ouvrage collectif « Cachez cet islamisme ». Pondérée, lucide, et surtout profondément humaniste, elle est l’expression des inquiétudes d’un homme de bien qui, d’emblée, rappelle cette formule de Goebbels : « À force de répétitions et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle ». Dans sa contribution, il témoigne, en homme qui a vécu, voyagé, observé, et qui refuse de prétendre qu’un carré est en fait un cercle.

Mais cela n’a pas l’heur de plaire à certains de ses collègues, qui, s’adressant au Comité de déontologie, lui reprochent d’abuser « de sa position de député fédéral pour mener, au nom d’une lutte contre le radicalisme religieux, une campagne d’amalgames, ciblant les musulmans, qui entretient et alimente la confusion sur la position du parti. ». Comble de l’ignominie : l’ancienne présidente du CDH, Joëlle Milquet, s’est fendue d’une critique publique des  propos de Georges Dallemagne : « Cette manière simpliste de généraliser les choix d’un grand nombre de femmes belges comme synonymes d’un refus de nos valeurs et de notre société n’est juste pas acceptable et me fait penser à des propos extrêmes entendus ailleurs ».

On en est donc là : l’énoncé d’une évidence, de manière posée et mesurée – « le port du voile, c’est aussi une revendication politique » - peut vous mener devant un Comité de déontologie pour des propos jugés amalgamants et, évidemment, « islamophobes ».

La capacité d’aveuglement de certains a quelque chose de fascinant, il faut l’admettre. Partout dans le monde musulman, la montée de l’islam politique s’accompagne du voilement des femmes et des filles. Une pratique qui n’a rien de culturel ni de traditionnel, mais qui est au contraire d’émergence récente, sous la double influence des Frères musulmans et de Sayyid Qutb, puis du wahhabisme. Nulle part dans le monde musulman, le voile n’est synonyme de liberté individuelle ni d’émancipation féminine. Tout au plus est-il la condition à laquelle des femmes acquièrent la possibilité de circuler dans l’espace public, à des conditions dictées par des hommes.

Mais pendant ce temps, en Europe, il est de bon ton de nier la dimension politique du voile. « Nous ne sommes pas en Iran », se gaussent volontiers certaines militantes du droit de porter le voile. Pourtant, à l’heure de la mondialisation, il est assez extraordinaire de persister à croire que l’islam politique s’arrêterait aux frontières de l’Europe. Que nul risque ni projet n’existerait de faire advenir ici un islam politique qui existe et grandit partout ailleurs. Et le CDH devrait d’ailleurs en savoir quelque chose, lui à qui nous devons l’arrivée au Parlement bruxellois en 2009 de la première députée voilée, Mahinur Özdemir avant qu’elle soit exclue du parti 6 ans plus tard pour son refus de reconnaître le génocide arménien. Madame Özdemir est aujourd’hui ambassadrice de Turquie en Algérie – une proximité avec le régime islamo-conservateur d’Erdogan qui était déjà avérée en 2010, et qui en dit long sur la fibre social-démocrate de la députée.

Comment ne pas voir que l’entrisme islamiste se fait de jour en jour de plus en plus agressif ? Qu’aucune sphère ne sera bientôt épargnée par les velléités de certains d’imposer des femmes porteuses de ce signe politico-religieux partout ?

Quand donc cessera-t-on de tirer sur le messager ? Car en vérité, ce sont certains mandataires - essentiellement Ecolo, socialistes ou CDH - qui devraient s’expliquer devant un Comité de déontologie pour leur propension, ces dernières années, à favoriser le recul des principes démocratiques au nom d’un prétendu « libre choix ». Aveuglement ? Naïveté ? Électoralisme ?

Qu’importe. La responsabilité politique, c’est bien sûr de garantir la paix civile. Mais cela ne saurait passer par le déni du réel. Tout au contraire : la lucidité est la condition de possibilité de la recherche de solutions politiques qui, à terme, éviteront l’exacerbation des conflits sociaux. Et ça devient urgent.

 

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