Se sentir femme

Publié le par Nadia Geerts

La récente campagne du Planning familial, en France, a suscité beaucoup d’émoi avec son affiche « Au planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints » : d’un côté, des féministes s’indignaient, dénonçant le transactivisme à l’œuvre et les risques consubstantiels d’invisibilisation des femmes; de l’autre, des sympathisants de la cause accusaient lesdites féministes de transphobie, rappelant que le sexe est une « construction sociale » et que par conséquent rien n’empêche une femme d’avoir un pénis ni un homme d’être enceint.

Entre les deux, une question : Au fond, qu’est-ce que ça peut faire qu’on parle d’hommes enceints ou de personnes menstruées ?

Entre les deux aussi, mes hésitations, qui peuvent se résumer à une question : qu’est-ce, au fond, qu’être une femme ?

En effet, les personnes qui entament un processus de transition - prenons le cas de personnes nées hommes - invoquent immanquablement le fait qu’elles « se sentent » femmes, et ce parfois depuis leur plus jeune âge.

Elles nous disent donc, et en cela s’inscrivent dans quelque chose de profondément humaniste, que la nature n’est pas tout ; que l’être humain, à la différence des autres animaux, n’est pas totalement inscrit dans une nature qui le déterminerait et le contraindrait. Comment ne pas applaudir à cela ? Toute l’histoire de l’humanité est une histoire d’émancipation par rapport à des contraintes « naturelles », de la médecine à l’aviation.

Pour autant, l’invocation d’un ressenti, aussi fort soit-il, pour revendiquer un changement de sexe a quelque chose d’interpelant. Car que signifie, aux yeux de ceux qui l’expriment ainsi, « se sentir femme » ? S’agit-il uniquement d’avoir envie de porter des robes, du maquillage et des hauts talons ? Comment ne pas comprendre alors que beaucoup de filles ne se sentent pas femmes ? Et qu’à l’inverse des garçons puissent se sentir femmes ? Mais est-ce vraiment cela, être une femme ? Une chose est sûre : le combat féministe a toujours consisté, jusqu’ici, à réfuter ces stéréotypes de genre pour promouvoir le droit pour les femmes de poser des choix traditionnellement associés à la masculinité. Et l’appellation « garçon manqué » que l’on accolait encore il y a trente ans aux filles se comportant de manière trop « masculine » semble aujourd’hui ridiculement sexiste, tant il est clair qu’une fille qui aime le foot ou la mécanique n’est pas un garçon manqué, mais une vraie fille, à qui rien ne manque.

Mais faut-il comprendre que « se sentir femme » va bien au-delà de cela ? Qu’il s’agit d’autre chose, de quelque chose de beaucoup plus profond, qui rend insupportable le fait d’avoir un pénis et un prénom masculin, à tel point que la transformation, tant anatomique qu’hormonale, devient la seule issue pour se sentir enfin en accord avec ce qu’on se sent être ? C’est manifestement le vécu de certaines personnes, et il ne saurait être question, à mes yeux, d’interdire ces métamorphoses, tout en restant attentif aux conséquences sociales que cela entraîne, que ce soit dans le domaine du sport de compétition ou dans tous les domaines où la mixité n’est pas d’application – qu’il s’agisse des saunas ou des prisons, par exemple.

Quant à la campagne du Planning familial français, elle me semble faire l’impasse sur une évidence : il n’est pas encore possible de faire en sorte qu’un individu né homme se voie pourvu d’un utérus où puisse se développer un fœtus. Un homme enceint est donc, dans l’état actuel des choses, une fiction. Plus précisément, il ne peut s’agir en réalité que d’un individu biologiquement femme ayant entamé un processus de transition qui lui permet à la fois d’être (encore) enceinte et d’avoir (déjà) l’apparence extérieure d’un homme.

Et si l’on tient absolument à parler de genre et de sexe, cette personne est donc de sexe féminin et de genre masculin. Une femme, donc. Un peu plus masculine que la plupart des femmes, certes, mais une femme malgré tout, même si elle préfère être appelée par un prénom masculin.

Quant à savoir ce que cela peut faire qu’on parle d’hommes enceints ou de personnes à utérus, voici ma réponse :

Il me semble dangereux d’instiller dans l’esprit de nos enfants et adolescents l’idée que s’ils sont attirés par les vêtements, jouets, activités ou rôles sociaux traditionnellement associés à l’autre sexe, ou s’ils ont du mal à accepter les transformations de leur corps à la puberté, c’est peut-être parce qu’ils « ne sont pas nés dans le bon corps ». Certes, la dysphorie de genre (qu’on devrait à mon avis appeler plutôt dysphorie de sexe, puisqu’il s’agit bien d’un sentiment d’inadéquation entre le sexe biologique et l’identité sexuelle ressentie) existe, mais il existe aussi quantité d’enfants et adolescents, garçons et filles, qui sont simplement dans un processus de recherche de ce que signifie, pour eux-mêmes, à tel moment de leur développement, être un homme ou être une femme. Ils expérimentent sans le savoir ce que Simone de Beauvoir exprimait magistralement : « On ne naît pas femme, on le devient ».

Et comment devient-on femme ? Par la confrontation entre nos propres aspirations et un ensemble d’attentes sociales. Par la recherche hésitante d’une réponse satisfaisante à la question : comment habiter ce corps que je n’ai pas choisi, comment me l’approprier, comment le faire mien pour devenir moi ?

Ma crainte, en d’autres termes, est qu’après quelques décennies de lutte pour la dissociation du genre et du sexe, nous en venions insidieusement à l’idée selon laquelle nos préférences de genre dictent notre sexe, ce qui n’est jamais que l’exact symétrique de la pensée traditionnelle, selon laquelle notre sexe devrait dicter nos préférences de genre.

Élevons nos enfants dans l’idée selon laquelle ils sont certes nés avec un corps de fille ou de garçon, et que cela a quelques implications incontournables, mais que cela ne les détermine pas au-delà de ces strictes contraintes biologiques, car leur genre, lui, sera ce qu’ils voudront qu’il soit.

Parce que si être une femme ne dépend plus de critères biologiques, on risque fort de régresser vers un monde où être une femme, ce sera se comporter comme une femme. Autrement dit, vers un monde où les stéréotypes de genre seront non seulement validés, mais auront force de loi. Et tant pis pour les filles qui aiment les pantalons et le foot, que la nouvelle « science » qualifiera d’ « assignées filles à la naissance » avant de leur suggérer avec insistance un processus de transformation pour mettre leur corps en adéquation avec ce qu’elles « se sentent être ».

C’est en cela que cette histoire de sexe et de genre nous concerne tous. Et il n’y a rien de transphobe à tenter de trouver un point d’équilibre entre le droit de « transitionner » et celui de ne pas correspondre aux stéréotypes de genre.

La recherche de ce point d’équilibre est un exercice complexe, et je ne sais pas comment, concrètement, y parvenir. Mais ce qui est en jeu, c’est la préservation de la liberté de chacun d’être lui-même.

 

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Publié dans Féminisme

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