Salles de prière clandestines à l’Université Libre de Bruxelles : où en est-on ?

Publié le par Nadia Geerts

Il y a quelques semaines, je dénonçais publiquement, via une carte blanche[1], l’existence à l’ULB d’un lieu de prière islamique. Plusieurs cercles étudiants (16, dont le Cercle du libre examen ! publiaient alors un communiqué dans lequel ils accusaient l’ULB d’islamophobie, en termes à peine voilés, parce qu’elle avait (enfin) réagi en affirmant sa volonté de mettre fin à ces pratiques. J’ai alors lancé une pétition[2] qui, en quelques jours, a rassemblé plus de 5000 signatures. Cette pétition, qui a été transmise à l’ULB le 23 septembre dernier, demandait à l’ULB de ne pas céder aux demandes visant à autoriser sur les campus des lieux de prière et de faire en sorte que cette pratique cesse.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

À vrai dire, pas grand-chose n’a changé : bonne nouvelle, les invocations semblent avoir disparu et la statue est à présent dévoilée, laissant apparaître un lion. Par contre, les caisses de matériel sont toujours bien en place, contenant des voiles et des tapis de prière.

Qu’en conclure ?

Que manifestement, faire respecter l’interdiction de s’approprier un espace commun n’est pas une résolution prioritaire pour les autorités académiques.

C’est pourtant l’évidence : des étudiants n’ont pas à installer des affaires personnelles en permanence dans un lieu quelconque de l’université sans autorisation, comme je le démontrais dans cet article[3], que je republie aujourd’hui ici.

 

Reste une question non élucidée à ce jour. Car si les cinq prières quotidiennes sont une obligation, il est généralement admis que celles-ci peuvent être postposées et regroupées. De même, quiconque a déjà visité une mosquée sait que la place réservée aux femmes y est extrêmement réduite, l’usage étant plutôt, pour celles-ci, de prier chez elles. Il faut donc avoir une vision de l’islam particulièrement fondamentaliste ET politique pour concevoir les cinq prières quotidiennes comme un incontournable et inciter les femmes à prier en public, en mettant des hidjab à leur disposition.

La question est alors : s’agit-il d’une initiative individuelle, transmise au fil du temps ? Ou y a-t-il derrière cette pratique un cercle étudiant ou une autre structure islamique désireuse de propager, via ces prières, un islam fort peu « accommodant » ?

De quoi la polémique sur les salles de prière clandestines à l’Université Libre de Bruxelles est-elle le nom ?

 

Depuis plusieurs années  - certains témoins parlent de plus de 15 ans – des étudiants musulmans prient chaque jour dans une partie de la bibliothèque de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Une pratique qui s’est tellement banalisée qu’il y ont même entreposé quelques caisses de matériel : tapis de prière, voiles, textes d’invocations plastifiés à réciter. Et que la statue qui décore la pièce est en permanence recouverte d’un drap.

Mais depuis que les faits ont été révélés dans la presse grâce au témoignage anonyme d’un membre du personnel, la question qui revient le plus souvent, c’est « Et alors, où est le problème ? ».

La mort dans l’âme, effarée qu’on puisse même la poser, je vais donc tenter de répondre à cette question.

 

Oubliez un instant qu’il s’agit de prières, de religion et d’islam.

Imaginez.

Imaginez que des joueurs de ping-pong décident de se rassembler chaque jour pour une partie de ping-pong. Que pendant quelques semaines, ils fassent l’expérience fastidieuse de transporter une table de ping-pong sur le campus, matin et soir. Que lassés, ils finissent par demander aux autorités académiques s’ils ne peuvent pas laisser leur table dans un couloir en permanence, soigneusement pliée et rangée le long du mur. Qu’ils se heurtent à un refus, et qu’ils décident de passer outre, laissant désormais en permanence dans ce couloir leur table pliée, ainsi qu’une boîte contenant des balles, des palettes, un filet de rechange, quelques t-shirts sportifs, que sais-je encore ?

On peut bien sûr faire varier le scénario à l’infini : imaginer des adeptes de cinéma entreposant leur projecteur et leurs bobines de film, des membres d’un club d’œnologie entreposant quelques bouteilles de vin, des gobelets et des crachoirs, des amateurs de peinture à l’huile entreposant leurs tabliers, palettes, pinceaux, toiles et pots de peinture, ou encore des férus de BDSM entreposant leurs fouets et ustensiles divers, toujours dans un couloir de l’université.

Soyons sérieux : quelqu’un oserait-il prétendre, dans ce cas, que ça ne devrait gêner personne, puisqu’après tout ces pratiques sont parfaitement légales ? La réaction unanime ne serait-elle pas de rappeler qu’il y a des salles de sport pour le ping-pong, des salles de projection pour les cinéphiles et des endroits mieux adaptés à la dégustation du vin ou à la pratique de jeux sexuels quelconques qu’un couloir d’université ? Concernant ce dernier cas, il y a même un précédent : en 2021, une activité au cours de laquelle des étudiants mimaient nus des jeux sexuels a suscité une réaction immédiate des autorités académiques, qui ont aussitôt suspendu les activités de ce cercle étudiant…

 

Mais curieusement, dès lors que l’on parle de religion en général, et d’islam en particulier, les choses changent : soudain, s’émouvoir de ce que des étudiants prient dans un couloir, c’est être intolérant, laïcard, islamophobe, d’extrême droite et j’en passe.

Pourquoi cette différence de traitement ? Il est évident que la liberté de culte est garantie par la loi, et même par la Constitution. Mais cela signifie-t-il que les fidèles d’une religion ont le droit de pratiquer leur culte n’importe où ? Évidemment non. Le culte, il y a des endroits pour ça, et comme la langue française est bien faite, on les appelle même « lieux de culte ».

Or, par le passé, les autorités académiques ont refusé d’autoriser un « lieu de culte », c’est-à-dire une salle de prière, au sein de l’ULB. Je répète lentement : elles ont dit « non ».

Et qu’ont fait les étudiants demandeurs ? Ils sont passés outre le refus, et ont installé quand même leur lieu de culte. Ça a un nom, et même plusieurs : « désobéissance », « infraction à la règle », ce genre de choses qui mérite normalement un rappel à l’ordre, et en cas de récidive, des sanctions. Sans compter que des caisses qui traînent en permanence, ça a bien dû éveiller la curiosité de la sécurité, par les temps qui courent. Et qu’il semble pour le moins curieux que personne n’ait jamais simplement saisi ce matériel « abandonné » là : ça traîne ? On ne sait pas à qui ça appartient ? Poubelle !

Mais manifestement, ce n’est pas cette logique-là qui prévaut, au contraire : la question qui demeure dans bien des esprits, c’est « Et alors ? ».

Faut-il en conclure que dans ces esprits, la religion (islamique) bénéficie désormais d’une sorte de sauf-conduit qui fait que la règle ne vaut pas pour elle, que la simple invocation d’une « obligation religieuse » doit ouvrir la porte à toutes les dérogations, parce que le contraire serait irrespectueux, intolérant et phobique ?

À rebours de cette tendance lourde, j’ose prétendre qu’il y a des éléments tout-à-fait objectifs qui font que, loin d’être plus « tolérants » à la pratique religieuse en général, et à ces prières-là en particulier, qu’à la pratique sportive ou à toute autre activité sociale, il serait parfaitement légitime de l’être moins.

Tout d’abord, l’ULB n’est pas n’importe quelle université. C’est une université qui est l’héritière d’une tradition anticléricale et qui prétend promouvoir le libre examen, autrement dit le refus du dogme, l’exercice de la rationalité et le refus de tout argument d’autorité. Or, prier cinq fois par jour, à heures fixes, qu’est-ce, sinon obéir à un dogme religieux ? L’université ne peut évidemment pas l’interdire, mais elle peut en revanche parfaitement rappeler aux étudiants qu’il y a des lieux pour cela, ces fameux « lieux de culte » que ne sont pas les bâtiments d’une université libre-exaministe.

Ensuite, cette pratique religieuse comporte certains aspects qui devraient faire bondir toute personne attachée au progrès, à la liberté, à l’égalité et à la raison. Outre que les hommes et les femmes ne prient pas ensemble, parmi les invocations plastifiées à emprunter figure celle-ci : « Il n’y a pas de divinité en dehors d’Allah, en Lui rendant un culte pur en dépit des mécréants ». On a donc affaire à un double séparatisme, sexuel et sur base des convictions, le second étant même teinté d’une hostilité claire envers les mécréants, accusés de vouloir empêcher la pratique du « culte pur ».

À l’évidence, ce n’est pas l’ULB, ni les laïques, les libre-exaministes ou les mécréants qui rejettent les musulmans, mais certains d’entre eux qui développent, au sein même de université, des pratiques bigotes relevant d’une idéologie excluante, où les mécréants sont l’objet de rejet, de suspicion et de mépris. Le vrai problème, dès lors, est que ces étudiants se sentent davantage « chez eux » que tous ceux qui se réclament de l’héritage historique de l’ULB, qui rejettent le dogme, pratiquent le doute rationnel et la libre critique de toutes les idées.

Depuis que l’existence de ce lieu de prière a été rendue publique, nombre d’entre eux témoignent de leur malaise, de leur indignation, de leur soulagement aussi que quelqu’un ait osé enfin rompre le silence. Ce qui démontre à suffisance que non seulement ceux que cela dérange sont nombreux, mais aussi qu’ils savaient, pour la plupart, mais n’ont rien osé dire.

Et c’est peut-être le plus grave dans cette affaire.

L’ULB assure à présent qu’elle va agir face à un phénomène qui aurait pris de l’ampleur tout récemment et préciser aux étudiants dès la rentrée académique que les lieux de prières ne sont pas autorisés sur les campus.

Quant aux étudiants, la révolte gronde, puisque pas moins de seize organisations étudiantes ont cosigné un communiqué « en soutien aux étudiant.es stigmatisé.es » intitulé « On mérite mieux qu’une polémique islamophobe ! ». On y chercherait en vain une quelconque argumentation en faveur du droit de prier dans les couloirs sans autorisation, mais on y apprend qu’il importe de protéger les étudiants face à « une attaque réactionnaire » qui « stigmatise » et les « diabolise » les étudiants sur base de leur confession.

 

 

 

[1] https://www.lalibre.be/debats/opinions/2023/08/28/il-y-a-une-salle-de-priere-clandestine-au-coeur-meme-de-lulb-on-ne-peut-laccepter-7XDFQ2IMHBDWRHVAL7OSGIRCGY/

[2] https://www.mesopinions.com/petition/social/aux-lieux-priere-ulb/214968

 

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