Un cours de morale neutre ?

Publié le par Nadia Geerts

C’est la dernière idée en date de la ministre Simonet : organiser, à côté du cours de morale « laïque », un cours de morale vraiment neutre. Parce que bon, c’est vrai quoi : le système actuel ne coûte pas assez cher, et surtout, n’est pas suffisamment respectueux des convictions de chacun…

 

 Ce serait drôle si ce n’était pas si exaspérant : voilà des années qu’on se tue à nous répéter que le cours de morale est « non-confessionnel » (attention, hein : pas « laïque » !), et voilà qu’aujourd’hui, on en épingle les aspects trop engagés pour promouvoir, à ses côtés, un cours de morale « vraiment neutre ». Faudrait savoir…

L’idée lumineuse, c’est celle-ci : à côté des cours engagés que sont les cours de religion et de morale-qu’on-ne-sait-plus-comment-appeler, il faudrait un cours pour les malheureux élèves qui ne se reconnaissent dans aucun de ses engagements : les témoins de Jéhovah, les chiites dans les écoles où le prof de religion islamique est sunnite, les baha’is, les hindouistes – du moins jusqu’à ce qu’ils aient obtenu leur reconnaissance -, les vaguement déistes, etc. A ces élèves-là, on enseignerait une morale rigoureusement neutre.

Une morale rigoureusement neutre ? Kekséksa, Madame la Ministre ? Comment une morale pourrait-elle être neutre, dès lors qu’elle se fonde nécessairement sur des valeurs que l’on juge préférables à d’autres ? Et en admettant même que cette morale neutre existe, pourquoi ne pas décider de l’enseigner dorénavant à tous, plutôt que de faire de ce projet ambitieux un cours résiduel ?

J’ai sans doute mauvais esprit, mais j’ai du mal à ne pas voir dans cette lumineuse saillie une nouvelle manière, après le fameux tronc commun, de ne surtout rien changer tout en donnant l’impression de beaucoup réfléchir, et même d’innover.

Et puis surtout, j’aimerais lui dire ceci, à madame la Ministre :

Oui, le cours de morale non-confessionnelle est un cours engagé. Même si la Commission permanente du Pacte scolaire définit en 1963 le cours de morale comme: «  un guide d’action morale fondée sur des justifications sociologiques, psychologiques et historiques. Il ne fait pas appel à des motivations de caractère religieux; il ne tend pas non plus à la défense d’une ultime conception philosophique déterminée (1), le programme de morale de l’enseignement secondaire précise quant à lui que

« la finalité du cours de morale non confessionnelle est d’exercer les élèves et les étudiants, dont les parents ne se réclament d’aucune confession, à résoudre leurs problèmes moraux sans se référer à une puissance transcendante ni à un fondement absolu, par le moyen d’une méthode de réflexion basée sur le principe du libre examen » (2); et le programme applicable à l'enseignement fondamental, adopté en 2005, précise quant à lui que le cours s’adresse aux enfants « dont les parents se réclament d'une forme de pensée laïque »(3).

Pour autant, le cours de morale ne s’est jamais donné pour mission d’apprendre aux élèves l’inexistence de Dieu, la stupidité des religions ou le fléau de la croyance. Non, il se limite – et c’est déjà extraordinairement ambitieux ! - à encourager les élèves à pratiquer une méthode appelée le libre examen. Loin de tout endoctrinement, qu’il soit religieux ou athée, cette méthode consiste à inviter les élèves à penser par eux-mêmes, librement, en usant de leur raison. En aucun cas le cours de morale ne prétend dire aux élèves quoi penser. Tout au plus tente-t-il de leur enseigner comment penser.

Et j’avoue, Madame la Ministre, avoir le plus grand mal à saisir pourquoi une si belle méthode, qui constitue le fondement même de la démarche scientifique et de l’activité philosophique – je pense ici à Descartes ou Poincaré -, ne pourrait être enseignée qu’à de petits athées, au prétexte qu’elle serait trop engagée.

 


(1) Xavier Delgrange, Le cours de morale entre neutralité et prosélytisme, http://webcampus.fundp.ac.be/claroline/backends/download.php?url=L0RFTEdSQU5HRV8rK19sZV9jb3Vyc19kZV9tb3JhbGUucGRm&cidReset=true&cidReq=FAGRM409&11dfa0bc3276e0fa688ae0abd1132b7e=1698a852b9977f58f5fa9df15ee4928d

(2)Programme du cours de morale pour l'enseignement secondaire de plein exercice, premier degré,

2002, p. 1 (http://www.restode.cfwb.be/download/programmes/181-2002-240.pdf).

 (3) Programme de cours de morale pour l'enseignement fondamental, p. 7

(http://www.restode.cfwb.be/download/programmes/512-14.pdf).

Publié dans Enseignement

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